Je ne sais pas comment c’est possible, mais mes joues ont dû rougir davantage à cause des nombreux yeux posés sur moi. Je ne comprends pas pourquoi, mais les regards ont changé lorsque l’enseignante a prononcé mon nom, ils sont devenus plus froids, plus méfiants et ça me met complètement mal à l’aise. En toute sincérité, j’aimerais tellement être ailleurs, j’étais mieux avec ma maman. Mon cœur bat très rapidement et je sens la nervosité me prendre directement au ventre. Le silence perdure quelques secondes avant qu’Alyce me désigne la seule place libre de la classe. Je ravale avec peine et m’y dirige doucement sans ajouter un mot. Je pose mon regard sur la jeune fille qui partagera ma table, elle me dévisage un moment avant de tirer ses livres vers le bout et d'éloigner sa chaise pour être complètement à l'opposé de moi. Je baisse tristement les yeux et prend place sur la seconde chaise en m'assurant de l'éloigner le plus possible pour ne pas augmenter son malaise.
La professeur reprend son cours comme si je n'existais plus. Au fond, c'est peut-être mieux, je n'ai pas apprécié de me retrouver seul devant toute la classe. Je veux des amis, pas être traité comme un animal de foire. Même si j'avais hâte, je me rends compte que j'aurais préféré être introduit autrement à mes camarades de classe. Je déteste cette sensation d'être jugé.
- Ouvrez vos manuels à la page 36, ordonne l'enseignante. Je relève la tête vers elle avant d'observer autour de moi. Chacun des autres étudiants sort son manuel alors que moi, je ne bouge pas. Au bout de quelques secondes, Alyce s'adresse directement à moi : - Tu n'as pas ton manuel, Michael ? Me demande-t-elle d'une voix lente comme si j'étais trop stupide pour comprendre ce qu'elle me dit ce qui fit rire légèrement quelques-uns des élèves. La gêne me monte à nouveau aux joues et je regarde nerveusement autour de moi. Je suis le seul qui n'a pas son livre, il était donc impossible que je passe inaperçu.
- N-non, bafouillai-je en baissant honteusement les yeux. J'entends de brefs murmures autour de moi et je ne peux détourner mon regard de la table.
Je n'ai pas encore mes manuels scolaires, car le gouvernement n'a pas donné assez d'argent à ma maman pour qu'elle puisse me les acheter. Elle m'avait dit que je n'aurais pas de problèmes, car les professeurs seraient au courant, mais madame Alyce ne semblait pas le savoir ce qui augmente ma gêne. Au bout de quelques secondes, je lève finalement les yeux vers ma tutrice et son regard vert s'est légèrement assombri. Est-ce qu'elle est en colère ? Je ne veux pas qu'elle soit en colère contre moi, ce n'est pas entièrement de ma faute. Chaque membre de la famille a été dans l'obligation de faire des compromis afin qui nous puissions manger à tous les jours.
- Tu peux suivre avec Rachel pour cette fois, me dit-elle en faisant un bref signe de la tête vers la jeune fille qui partage ma table.
Je l'entends soupirer bruyamment et elle pousse son livre vers moi avec dégoût. Je baisse tristement les yeux et je ravale avec peine. Je ne comprends pas ce que j'ai fait pour mériter cela, je ne lui ai même pas adressé la parole. Je commence à être de plus en plus nerveux et je n'aime pas cela. Ça devait être une bonne journée pour moi... Je commence à faire tapoter nerveusement mes doigts sur ma cuisse et je pose mon regard sur le livre ouvert. Les mots se mirent à danser devant mes yeux, me narguant pratiquement. Je me mordille l'intérieur de la lèvre et pose mes deux mains sur mes cuisses afin de me calmer. Lorsque je suis nerveux, je perds mes moyens et j'oublie tout, même comment lire. L’enseignante commence à donner son cours en fonction du manuel et je fixe les pages du livre sans vraiment comprendre ce qu’elles racontent. Pour être franc, je ne porte pas réellement attention à ce que l’enseignante dit parce que c’est trop difficile à comprendre. J’ai l’impression qu’elle parle en japonais alors que je sais pertinemment que c’est de l’anglais. Je ne sais même pas dans quel genre de cours je me trouve, mais en observant plus attentivement les images présentes dans le livre, je devine que ça doit être un cours de géographie. Je suis trop nerveux, je dois absolument me calmer si je veux arriver à quelque chose, mais je n’y arrive pas. L’ambiance de classe est lourde et ça me met mal à l’aise.
Au bout d’une bonne heure, la cloche raisonne me faisant sursauter et me tirant de mes pensées. Rachel s’empresse de reprendre son livre et elle sort le plus rapidement de la classe en m’évitant soigneusement. En quelques instants, tout le monde est sorti de la salle de cours sauf moi, je ne me suis pas même pas levé. Alyce s’approche de moi et elle me regarde en souriant.
- Tu sais où se trouve ton casier ? Me demanda-t-elle d’une voix extrêmement douce presque maternelle. Cette voix me rassure et calme légèrement la nervosité montante de la dernière heure.
- Non, murmurai-je en lui faisant un petit sourire. Elle me regarde un court moment avant de me faire signe de la suivre. Je me lève rapidement et la suit à travers les couloirs. Elle ne me parle pas pendant le trajet. Pour ma part, je regarde partout. Il y a des tonnes de petits groupes posés un petit peu partout qui discutent entre eux. Je ne peux pas m’empêcher de les regarder avec jalousie et envie. Moi aussi j’aimerais beaucoup passer ma pause de quinze minutes avec des amis. Je passe devant le groupe où se trouve Rachel, elle fait un signe de tête dans ma direction et murmure quelque chose à l’oreille de son amie. Cette dernière me regarde avant de rigoler légèrement et de transmettre le message à une autre fille à sa gauche. Le manège se répète et je finis par détourner vivement la tête de ce groupe de filles qui se moque visiblement de moi. Je sens le rouge me monter aux joues et une boule d’émotion se former dans ma gorge. Je continue de suivre en Alyce en observant le sol. Je ne comprends pas ce qui se passe ni pourquoi on se moque de moi. Je n’ai rien fait à personne…
- Est-ce que tu as ton horaire de cours avec toi ? me demande finalement Alyce. J’approuve d’un signe de la tête et je m’arrête pour poser mon sac au sol afin de sortir une feuille contenant une grille avec chacun de mes cours et chacun de mes locaux. L’adulte l’observe un court moment avant de reprendre sa route et de s’arrêter devant un casier spécifique. – Voilà, ton casier, me dit-elle finalement. J’hoche doucement la tête et note le numéro dans un coin de ma tête. Alyce me montre comment fonctionne le cadenas et m’indique l’endroit sur mon horaire où se trouve la combinaison. Pour l’instant, je ne mets rien dans ma case et je me laisse guider par ma tutrice jusqu’à ma prochaine classe. Alyce m’annonce que c’est également elle qui donne le cours d’histoire et je soupire de soulagement. Je l’aime bien madame Alyce. Elle est gentille et elle prend soin de moi. Une fois dans la nouvelle classe, je constate que je suis le premier et que j’ai l’embarra du choix pour ma place. Je vais donc m’installer à une table dans la rangée du fond et je sors mon étui à crayons.
- Tu es à ma place le nouveau, crache froidement une voix quelques minutes avant le début du cours. Je lève la tête vers le nouveau venu et ravale avec peine. C’est un garçon qui me regarde méchamment. Je ne rajoute rien et me lève en silence pour me diriger vers une autre table. Je n’ai pas le temps de m’asseoir qu’il m’interpelle de nouveau : - C’est la place de mon pote, sa voix me donne des frissons dans le dos et je change immédiatement de direction. – Et là, c’est la place de ma pote, rajoute-t-il ce qui me fait arrêter complètement. La nervosité me reprend d’un coup, car je ne sais pas où me mettre. Mes mains commencent à trembler donc je les cache dans mes poches. Je lance un bref regard vers le nouveau venu qui rigole fièrement avec l’un de ses amis de ce qu’il fait. – Je crois qu’il n’a pas de place pour toi ici le français, rajoute-t-il. Mon cœur manque un battement et la peur m’envahie. J’ouvre la bouche pour parler, mais je la ferme aussitôt. Je sais que ça ne sert à rien que je précise que je ne suis pas français. Je sens que si j’ai le malheur de leur dire que je suis libanais, ça sera encore pire.
- Ça suffit Steven, ordonne la tutrice. Je jette un rapide coup d’œil vers l’enseignante et elle me fait un maigre sourire rassurant. Je la remercie d’un bref signe de tête et je prends finalement place à une table et heureusement pour moi, le cours commence rapidement. – Tu n’as qu’à suivre les autres pour trouver la cafétéria, vient me dire Alyce à la toute fin de son cours.
- Merci, murmurai-je.
J’attends que tout le monde ait quitté la salle de classe avant de quitter à mon tour. Je suis mes camarades de classe de loin et j’atteins finalement la cafétéria. Je prends un plateau et je me mets dans la file d’attente afin d’obtenir mon repas. Une fois fait, je me retourne pour regarder les nombreuses tables et je constate qu’elles sont toutes plus ou moins occupées. La crainte m’envahie davantage et j’hésite un long moment avant de me diriger vers l’une des places libres. Immédiatement, les occupants de la table me dévisagent. Je les regarde un à un et je demande :
- Puis-je ? Je regrette tout de suite d’avoir posé cette question, car le nommé Steven se lève et secoue vivement la tête.
- Non, je t’ai déjà dit qu’il n’y avait pas de place pour toi ici ni ailleurs.
Je ravale péniblement et baisse la tête tristement. Je resserre doucement ma prise sur mon cabaret et je recule de quelques pas. Je sens des tonnes de regards posés sur moi et je suis vraiment mal à l’aise. Je décide de quitter la cafeteria avec mon cabaret, je n’ai pas envie de me faire rejeter en essayant de me trouver une table. Je sais que je vais vers la facilité et que ce n’est pas comme cela que je vais me faire des amis, mais bon de toute manière, je ne suis même pas certain de réussir à m’en faire, personne ne semble vouloir de moi ici. Je marche un moment à travers les couloirs de l’école sans savoir où je vais et je finis par trouver un escalier à l’écart de tout. Je me dirige vers celui-ci et je m’assieds sur la première marche en posant mon cabaret sur la seconde. Je soupire tristement et je commence à manger lentement. La nourriture n’est pas mauvaise, elle change beaucoup de la gastronomie française et je ne sais pas encore si ça me plait. Je ne suis pas difficile au niveau de la nourriture, mais comme tout le monde, j’ai mes préférences. Ce que je préfère manger par-dessus tout, c’est la nourriture libanaise de ma grand-mère. C’est tout simplement excellent et nous nous régalons à chaque fois qu’elle fait à manger. Je soupire bruyamment. Ma grand-maman me manque… Elle vivait avec nous en France, je la voyais à tous les jours, mais elle n’a pas encore pu nous suivre en Angleterre. Elle va nous rejoindre d’ici quelques semaines, j’ai hâte, car elle me manque atrocement, mais également, car elle va pouvoir venir en aide à ma maman.
- Tu n’as pas le droit d’être ici gamin, dit une voix qui me fait sursauter. Je tourne vivement la tête et observe l’homme qui semble être l’un des concierges de l’école. Il a le crâne dégarni et un début de barbe sel et poivre. Il ne porte pas de lunettes et me regarde de son regard bleu. Il ne semble pas en colère contre moi et me parle doucement. Sauf qu’à cet instant précis, j’ai envie de pleurer. Je n’ai pas le droit de manger à la cafétéria et je n’ai pas le droit de manger dans les escaliers… Est-ce que j’ai le droit d’aller quelque part dans cette école ? … Je baisse tristement la tête pour cacher mon regard qui s’est rempli de larmes et répond finalement :
- Il n’y a pas de places à la cafétéria. Le concierge hésite un instant avant de me répondre :
- Mais si, il y a de la place pour tout le monde.
- Pas pour moi, ma voix tremble légèrement trahissant ma peine. Je relève finalement la tête pour regarder l’homme qui m’observe tristement. Il soupire et hausse les épaules.
- Retourne seulement ton plateau à la cafétéria lorsque tu auras terminé.
- Promis !
Je souris doucement complètement rassuré. Je n’avais vraiment pas envie d’être dans l’obligation de retourner avec les autres étudiants. Ils ne me font pas sentir bien. Eux aussi semblent penser que je suis différent, exactement comme à mon école en France. Dire qu’au début de la journée, j’avais hâte d’arriver ici, maintenant, j’ai seulement hâte de rentrer chez moi et de retrouver ma petite famille. Eux, ils m’aiment…
- Voilà pour ce chapitre deux… J’espère qu’il vous aura plu autant que le premier, même s’il est déjà beaucoup plus triste. Un gros merci pour vos retours ! Ça m’a fait plaisir de voir que ce nouveau style et que cette nouvelle fiction vous plait ! C’est encourageant et ça me donne vraiment envie de la continuer. Le dessin ci-dessous a été fait par ma petite Hildechou (Doodh sur le forum) et je la remercie, car il est trop adorable son bébé Mika. *w* Je vous dis à bientôt ! -