Jusqu’où irez-vous ? – Chapitre 3

Je franchis la porte de notre petit appartement de manière hésitante. J’ai peur des questions que ma mère et mes sœurs vont me poser. Je ne veux pas leur mentir, mais en même temps, je ne peux pas leur dire la vérité. Je connais ma maman, elle va être triste et elle va se sentir coupable. Je ne veux pas qu’elle se sente comme cela par ma faute, je veux qu’elle pense que tout va bien et que je n’ai pas de problèmes. Après tout, je n’ai pas de problèmes. Oui, je suis légèrement laissé de côté par mes camarades de classe, mais j’ose espérer que la situation va changer. Ils ont sans doute peur parce que je suis un étranger, mais ils vont bien finir par voir que je suis gentil et que je ne souhaite pas leur faire du mal.

Je referme la porte sans bruit et me retourne avant de sursauter. Ma mère se tient dernière moi, un petit sourire sur les lèvres. Elle m’a fait peur, je ne l’avais pas entendu approcher. J’avais espéré réussir à entrer sans l’alerter, mais ma maman a des oreilles de lynx. C’était tout bonnement impossible. Elle s’approche doucement de moi et tire sur l’une de mes boucles afin de la remettre à sa place. Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Maman joue souvent avec mes cheveux comme cela et elle s’amuse à les remettre en place même si ça reste un champ de bataille.

- Comment s’est passé ta journée ? Me demande-t-elle en ancrant son regard sombre dans le mien. J’hausse les épaules et répond :
- Pas trop mal. Je me force un petit sourire et je n’ajoute rien. Après tout, je ne suis pas en train de lui mentir. Ma journée n’a pas été si pire que cela et j’ai passé un assez bel après-midi. Je n’ai été victime d’aucun autre incident de la part de mes collègues et j’ai rencontré deux nouveaux professeurs. Mon professeur de mathématique a été très gentil avec moi, il avait été prévenu que je n’avais pas mes manuels, donc il a fait photocopier les différentes pages d’exercices pour moi. Étrangement, j’ai beaucoup aimé ce cours alors que je détestais les mathématiques en France. Les exercices n’étaient pas trop difficiles et comme je n’avais pas d’énoncer à lire, je m’en suis bien sorti. Mon dernier cours de la journée fut un cours d’art où l’enseignante nous a expliqué le projet, projet que j’ai très hâte de commencer. J’ai toujours aimé les arts et les dessins. En plus, je suis certain que ma grande sœur, Yasmine, va pouvoir m’aider à réaliser certaines parties. Ma sœur est excellente dans ce domaine et elle aimerait en faire son métier plus tard. Je sais qu’elle va y arriver, car ma sœur c’est la meilleure, mais également parce qu’elle est très, très têtue et très orgueilleuse, donc elle n’abandonne jamais. C’est une libanaise après tout.
- Est-ce que tu t’es fait des nouveaux amis ? La voix de ma mère me tire de mes pensées et je détourne tristement mon regard du sien. Je ne veux pas lui mentir, je ne peux pas lui mentir. C’est ma maman, elle va le deviner.
- Non… Murmurai-je en commençant à jouer nerveusement avec mes doigts. Je n’ose pas relever mon regard vers elle, car je sais qu’elle est aussi triste que moi. Elle savait à quel point c’était important pour moi de me faire des amis. Elle me prend doucement les mains pour me calmer et cherche mon regard du sien. Ils finissent par se croiser. Ma mère me regarde longuement avant de dire :
- C’est normal. C’était seulement ta première journée, tu dois te laisser le temps de d’adapter à ce nouvel environnement. Ensuite, tout va se faire naturellement.

Elle me sourit et je réponds à son sourire. Elle a sûrement raison ma maman. C’est une question de temps, après les choses vont débloquer. Je l’espère. Elle tire sur mes mains afin de m’attirer contre elle et je me retrouve entre ses bras. J’y reste un moment. C’est l’un des endroits où je me sens le mieux et le plus en sécurité. Il ne va jamais rien m'arriver ici, j'en suis persuadé.

- Mon petit mouton chéri, s'exclame une voix derrière moi qui me fait pratiquement sautiller de joie. Je m'éloigne rapidement de ma mère pour aller faire un câlin à ma sœur qui vient de rentrer. Elle ébouriffe mes cheveux en riant doucement. - Alors, raconte-moi ta journée, s'exclame-t-elle en me tirant par une main vers le salon.

Comme nous n'avons pas de canapé, nous nous installons en tailleur sur le sol. Le déménagement jusqu'à Londres coûtait très cher et nous avons seulement pris l'essentiel négligeant les gros meubles. Au moins, nous avons eu la chance d'avoir un petit appartement avec des lits compris. Ce n’est pas moi qui utilise les lits. Nous sommes six et nous avons que deux chambres. Ma maman partage son lit dans sa chambre avec Zuleika, Fortuné dort également avec elles, mais il a son lit de bébé. Dans ma chambre, il y a Paloma et Yasmine qui partagent le lit et moi, je dors sur le sol sur une pile de couverture que ma maman m’a gentiment préparé. Ce n’est pas inconfortable, mais je commence à être légèrement courbaturé. Ce n’est pas grave, je ne vais pas le dire à ma maman, car ça va la rendre nerveuse pour pas grand-chose. Je n’ai pas envie qu’elle soit dans l’obligation de dépenser de l’argent pour me payer du luxe, je peux très bien m’en sortir sans.

Je passe la soirée en compagnie de mes sœurs et nous jouons à plusieurs jeux ensemble. Ça m'aide à me détendre et à oublier mon école. Nous allons nous coucher tous en même temps et c'est Maman qui nous réveille très tôt le lendemain matin. Une nouvelle fois, elle m'aide à me préparer et à faire le nœud de mon nœud papillon. J'aime beaucoup en porter, je trouve cela trop classe et ma mère me dit toujours que je suis joli avec cela.

Je mets mon sac sur une épaule et je quitte la maison seul cette fois-ci. Je vais bien jusqu'à ce que je me retrouve très proche de l'école, la nervosité me prend directement au ventre et j'hésite de longues secondes avant d'aller dans la cour d'école. Je crains déjà la réaction de mes collègues de classe lorsqu'ils vont m'apercevoir. Je reste dans mon coin et j'observe partout autour de moi. Personne n'est seul sauf moi, tout le monde a des amis, tout le monde rigole. Je suis jaloux. J'attends patiemment la cloche et lorsqu'elle retentit enfin, je me dirige vers la salle de classe indiquée sur mon horaire de cours. Je suis mes camarades de loin pour ne pas me perdre et je m'assure d'entrer le dernier dans la classe pour ne pas qu'on me reproche d'avoir volé la place de quelqu'un. Je me retrouve assis au premier rang directement devant l'enseignant. C’est un homme à la chevelure épaisse blonde et au regard bleu perçant, il a les épaules et la mâchoire carrées. Il est assez jeune et il fixe son auditoire en souriant de ses dents blanches parfaites. Il n'a pas encore dit un mot, mais je ne peux pas détacher mon regard de lui.

- Bon matin groupe ! Je suis le professeur Aymrick White et je serai votre nouveau professeur de musique jusqu’à la fin de l’année pour remplacer Madame Wong qui est en congé de maternité.

Je ne sais pas pourquoi, mais un large sourire étire mes lèvres. Sa voix est mélodieuse et elle sonne très bien à mes oreilles. Je me redresse légèrement sur ma chaise et je m'avance sur le bout. L'enseignant commence à donner son cours et j'en suis davantage intéressé. J'en apprends plus sur la culture musicale anglaise et sur divers instruments. Je n'ai pas pu me raviser à détacher mon regard du professeur une seule seconde, il gesticule beaucoup en parlant et la passion est visible dans son regard. J'aimerais être aussi passionné que lui par quelque chose et réussir à transmettre ma passion comme il le fait. Quelques minutes avant la fin du cours, il s’installe à son clavier et il commence à jouer une chanson que je ne connais pas. C’est tout simplement magnifique et lorsque sa voix se mêle à la musique, j’en ai des frissons dans le dos. C’est incroyable. Je ne peux pas expliquer ce que je ressens en ce moment, mais je ne me suis jamais senti comme cela. Je pourrais passer des heures assis dans cette classe à l’écouter. Je suis tellement absorbé par la musique que je ne remarque même pas que les autres élèves se moquent de l’adulte. Par chance, car ça m’aurait vraiment fait de la peine.

La cloche de fin de cours résonne et tous les étudiants courent pratiquement à l’extérieur de la salle de cours, sauf moi. Je reste et j’observe le professeur ranger ses choses. Si je n’étais pas aussi timide, je crois que je lui demanderais d’essayer le piano, mais je sais que ça serait déplacé. De toute manière, mes doigts inexpérimentés ne doivent pas avoir le droit de toucher un instrument aussi beau et magnifique. Ça serait dénigrer cet art.

- Comment t’appelles-tu ? Me demande soudainement l’enseignant ce qui me fit rougir. Je pince les lèvres et je le regarde un moment avant de répondre d’une petite voix.
- Je m’appelle Michael, mais tout le monde m’appelle Mika, ma voix tremble légèrement et je suis complètement gêné.
- Oh, c’est mignon ce petit accent. D’où viens-tu ?

Soudainement, je me sens important. Il y a quelqu’un dans cette école qui s’intéresse un minimum à moi et à mes origines. Par contre, je n’arrive pas à cacher le fait que je sois gêné et qu’il m’intimide légèrement.

- Je viens de la France, mais je suis né au Liban. Sur le coup, je regrette tout de suite ma précision. Il va sans doute me juger et arrêter de me parler en sachant d’où je viens. C’est toujours comme cela.

- J’ai de la famille qui vient du Liban, c’est un très bel endroit. Dans quelle ville es-tu né ?
- Beyrouth, il me sourit doucement et je ne peux pas m’empêcher de répondre à son sourire. Je me sens bien avec lui du coup et je ne suis plus du tout nerveux. Il ne m’intimide plus, au contraire, il est très gentil avec moi.
- Tu as déjà joué du piano, Mika ? Je secoue vivement la tête de gauche à droite. – Tu aimerais essayer ? Mes yeux s’agrandissent sous le coup de la surprise. Je ne m’attendais pas du tout à cela et je sens la panique monter en moi. Je commence à bouger nerveusement les doigts et je secoue à nouveau la tête.
- N-non… Bafouillai-je. Je pus voir la déception apparaître dans les yeux de mon professeur, mais il continue de me sourire.
- Peut-être une autre fois, Mika.

J’approuve d’un signe de la tête et je quitte la salle de classe après avoir souhaité une bonne journée à mon nouvel enseignant. Je me sens encore légèrement mal à l’aise de la fin de l’échange que j’ai eu avec monsieur White. Il m’a proposé de toucher à son clavier alors que je dois être complètement nul. Je ne sais pas à quoi il a pensé. J’aurais pu le briser gaffeur comme je suis.

- Hey le français ! Je me crispe et je pince les lèvres avant de me retourner vers la personne qui m’interpelle. – Viens ici, m’ordonne Steven. Je ravale avec peine et j’hésite de longues secondes avant de me diriger vers lui. Je ne sais pas pourquoi j’y vais, mais j’ai encore plus peur de ce qu’il pourrait me faire si jamais je refuse et que je me sauve. – Tu vas m’être utile. Dès que j’arrive à quelques pas de lui, il me retourne brusquement et tire sur mon sac jusqu’à le faire tomber de mes épaules. Je retiens un cri de surprise et je n’ose pas bouger me laissant faire. Steven se retrouve bien vite avec mon sac à dos entre les mains et il commence à fouiller à l’intérieur. Je le regarde faire complètement apeuré et j’ai peur de réagir, car il est accompagné de ses amis. Il sort alors des feuilles de mon sac que je reconnais comme étant mon devoir de mathématique. Devoir que j’ai eu le temps de faire en classe pendant le cours, car j’étais en avance sur tous les autres. – Merci le français. Je n’avais pas eu le temps de faire le mien.
- N-Non… C’est le mien ! Tentai-je, mais ma voix tremblante et la crainte dans mes yeux me faisaient perdre toute crédibilité. Steven et son groupe se moquèrent de moi avant de partir vers la salle de classe laissant mon sac à dos au sol.

Je me penche et je referme doucement mon sac en essayant de contrôler les tremblements de mes mains. Ce n’est rien. Ils ont seulement pris mon devoir, ça aurait pu être pire. Mais bon, ils auraient pu me le demander gentiment à la place de me l’arracher. Je leur aurais sans doute donné. Je ne veux pas de problème après tout…

Est-ce comme cela que je vais me faire des amis…? Vais-je devoir leur fournir mes travaux scolaires à toutes les fois pour espérer avoir un petit peu de reconnaissance de leur part ? Quoi qu’il en soit, c’est avec la peur au ventre que je me dirige vers mon cours de mathématique. Je crains la réaction de mon professeur, il a été tellement gentil avec moi et moi, je vais le décevoir…