La peinture du plafond blanc était défraîchie, et la surface aurait bien eu besoin d'un coup de pinceau, songea distraitement Jongdae en l'observant de ses yeux marron. Étalé en étoile sur le canapé, il avait quémandé quelques minutes pour reprendre son souffle, suite à la torture sans pitié qu'il avait subie. D'ailleurs, c'est d'une voix presque renfrognée qu'il lança à son compère :
- Franchement, t'étais pas obligé de faire ça.
Alors qu'il s'était presque rendormi, celui-ci rouvrit les yeux et lui demanda silencieusement de quoi il parlait. Jongdae leva les yeux au ciel.
- Les chatouilles, tu sais, cette méthode de traître !, rappela-t-il sur un ton toujours aussi boudeur.
Bon dieu, il pouvait presque
sentir le sourire moqueur qu'arborait désormais son colocataire, qui devait probablement être très fier de lui. C'est pour cela qu'il lui balança le premier oreiller qu'il trouva, obtenant ainsi un grognement agacé qui soulagea momentanément sa frustration. À vrai dire, il ne lui en voulait pas tant que ça, d'utiliser de tels procédés honteux comme celui d'exploiter de façon scandaleuse le côté chatouilleux qu'il possédait pour recevoir ce qu'il souhaitait, mais Jongdae était quelqu'un de têtu, et lorsqu'il avait décidé que c'était pas sympa, et bien il était difficile de le faire changer d'avis.
Bientôt, l'oreiller qu'il avait au préalable envoyé lui revint brusquement dans la tête, l'arrachant à ses pensées, et la voix douce de son ami attira son attention :
- Tu comptes y aller ce soir ?
Jongdae réfléchit un court instant, repensant à la peinture du plafond et à la télé passée d'âge qu'ils n'avaient jamais remplacée, et répondit lentement :
- Peut-être. Sûrement.
Il haussa les épaules, et ses yeux foncés descendirent sur son ordinateur portable qui reposait paisiblement sur la table de la salle à manger. Un lourd soupir s'échappa d'entre ses fines lèvres rosées et il se redressa sur son séant, tout en se grattant la nuque pensivement. Dans sa bouche traînait encore le goût chocolaté de la brioche qu'il avait réussi tant bien que mal à sauver de l'estomac affamé de son colocataire, et il retint un léger rire en se remémorant la scène. Finalement, il n'avait pas pu échapper à la 'vengeance terrible', et il s'en était mordu les doigts en voyant les conséquences des piques moqueuses qu'il avait osé lancer à son vorace ami…
Le jeune asiatique se leva et, attrapant d'une main l'ordinateur qu'il avait délaissé la veille, le démarra sans plus attendre. Alors qu'il se mettait à vrombir doucement, Jongdae tira une chaise et s'assit devant la table, s'appuyant contre le dossier et cherchant une position confortable pour les prochaines heures qui allaient suivre. Pendant ce temps, l'autre jeune homme avait repris la route de sa chambre, bien décidé à reprendre son sommeil qu'il estimait sacré. Le voyant faire, Jongdae ne put résister et l’interpella :
- Hé, Yixing !
L'intéressé se retourna, ses cheveux d'un brun foncé retombant dans une masse informe sur son front et cachant presque ses jolies prunelles, et le regarda d'un air intrigué.
- Compte pas sur moi pour aller chercher le pain à huit heures du mat', demain, fit le premier en secouant la tête d'un air faussement outré.
Pour toute réponse, Yixing se contenta de lever les yeux au ciel, et retourna se planquer sous la couette de son lit. Jongdae ricana en l'imaginant parfaitement faire cela. Puis, il se concentra à nouveau sur l'écran de son support de travail qui s'était allumé pendant leur courte conversation, lisant ses quelques mails, avant de finalement ouvrir le sujet qu'on lui avait confié pour le week-end.
« LE PRÉSIDENT ENTRETIENT UNE RELATION SECRÈTE ?? »
S'il avait eu un miroir sous les yeux, Jongdae aurait sûrement noté à quel point ses sourcils n'avaient jamais été aussi haut placés sur son visage. Comme d'habitude, il était consterné face à la courte phrase qui s'étalait sur le fichier d'écriture. N'y avait-il donc pas autre chose de plus important qui pouvait intéresser les gens, à part la vie d'un homme dont le reste de la planète se fichait éperdument ? Les inquiétudes du peuple n'étaient-elles donc fondées que sur l'activité sexuelle des célébrités ? Cela déconcertait un peu le jeune asiatique, quelque part... Enfin, toujours est-il que cela vendait, et que 'lorsque cela vendait, on ne changeait pas la recette qui faisait vendre', avait proclamé son supérieur.
Quelques instants plus tard, une paire de lunettes rectangulaires aux montures noires sur le bout du nez et un air concentré en plus, le chasseur d'informations avait commencé ses recherches. Creuser les tréfonds des réseaux sociaux, rassembler les photos, les vidéos, tout ce que les photographes en herbe qu'employait son entreprise avaient réussi à arracher à la vie privée de l'intéressé, scalper les rapports pour n'en conserver que les renseignements extraits… Oui, on pouvait dire que Jongdae était devenu quelqu'un de doué dans son domaine, après les quelques années de travail qu'il avait passées dans son métier de journaliste.
Journaliste.S'il n'avait pas eu peur de passer pour un fou, il en aurait ricané, tiens. Tu parles d'un journaliste ! 'Violeur de vie privée', ou encore 'maître des rumeurs' aurait bien mieux qualifié une telle profession. Ah, des fois, quand il y repensait, il regrettait le temps candide de l'université. Ces heures passées à s'épuiser les yeux sur ses livres de littérature lui paraissaient maintenant bien plus gratifiantes que celles qu'il dépensait désormais à jouer au chef d'orchestre des racontars. Au fur et à mesure qu'il avait pris de l'âge – et il n'était pas encore si vieux que ça, bon sang - Jongdae s'était rendu compte de la valeur du temps. Les jours défilaient à une vitesse incroyable et les heures étaient devenues plus précieuses que jamais. Et Jongdae en était douloureusement conscient, parfois.
Dehors, le soleil brillait sur la ville. Les nuages cotonneux du matin avaient fini par s'enfuir, effrayés par la puissance de sa lumière chaude, et lui avaient laissé place dans le ciel azuré de l'automne.
Le jeune homme aux courts cheveux noirs jeta un coup d’œil à la pendule virtuelle qu'affichait son ordinateur portable, au moment même où Yixing sortait à nouveau de sa chambre en bâillant presque muettement. Il s'était habillé, entre-temps, échangeant son pyjama contre un bon vieux t-shirt beige et un vieux pantalon de survêtement confortable. Se frottant les yeux, il passa silencieusement derrière Jongdae pour accéder à la cuisine, tapotant l'épaule de celui qui travaillait déjà alors qu'il était censé être en week-end. Ce dernier reprit rapidement sa tâche, se concentrant derechef sur l'article qu'il composait mécaniquement, les tournures de phrases et les réflexes emmagasinés par le passé refaisant surface en prenant contrôle de ses gestes. À vrai dire, cela faisait déjà longtemps qu'il ne faisait plus attention à ce qu'il écrivait. De par son expérience, il savait quels mots attiraient l'attention, quels étaient ceux qui excitaient les lecteurs et ceux qui leur faisaient avaler des tonnes d'informations préconçues et inutiles sans qu'ils ne rechignent une seule fois, alors à force, il avait fini par ne plus surveiller ses propres textes.
Une agréable odeur de crêpes se répandit dans le salon-salle à manger.
Ces deux pièces, fusionnées en une, correspondaient à la fois au bureau de Jongdae, à l'endroit où se détendait Yixing, mais aussi à la salle où mangeaient ensemble les deux colocataires. Une ouverture pratiquée dans le mur qui faisait face à l'emplacement de la défunte télévision menait à la cuisine où travaillait présentement le grand dormeur, et un couloir situé à l'opposé menait aux deux chambres, à la salle de bains et aux toilettes. Partout dans ce petit appartement, les murs étaient blancs. Vierges de couleur, tristement propres, constatait régulièrement Jongdae, lorsqu'il se sentait particulièrement ennuyé. Mais, malgré ce petit inconvénient, cet endroit était leur maison. C'était leur chez-eux, et ils ne nécessitaient rien de plus que cela.
En entendant les pas de son ami, le jeune homme aux cheveux corbeau enregistra sa progression, ferma silencieusement l'ordinateur et le déplaça sur la table basse, devant le petit sofa usé au tissu gris souris. Puis, il se retourna et mit la table, toujours profondément enfoncé dans ses pensées tandis que Yixing faisait glisser de grandes crêpes encore chaudes dans les assiettes blanches que venait de poser Jongdae. Celui-ci, par habitude, sortit un reste de jambon et du fromage râpé du frigo, attrapa une bouteille d'eau et s'installa à nouveau sur la chaise qu'il avait quittée précédemment. Tout sourire, le brun se servit en souhaitant un bon appétit à l'autre. Acquiesçant distraitement, Jongdae replia la galette sur elle-même et mordit dedans, appréciant comme toujours les qualités culinaires du dormeur. Il savoura sa bouchée avant de reprendre la conversation, discutant presque paisiblement avec son colocataire durant tout le repas.
À la fin de celui-ci, ils débarrassèrent tous les deux pour ensuite reprendre leurs occupations. Yixing s'étira, le ventre plein, enfila une veste et partit faire les courses alors que Jongdae reprenait son ordinateur portable et rouvrait son travail en cours, remontant ses lunettes sur l’arête de son nez fin. Une demi-heure plus tard, le brun était rentré avec des provisions pour une semaine et avait commencé à s'occuper. Ranger l'appartement, faire tourner le lave-vaisselle, passer au pressing, réfléchir aux prochains repas… De temps en temps, il venait aussi s'asseoir tout simplement à côté de Jongdae avec un livre et ils passaient parfois des heures dans cette ambiance tranquille, accompagnés par le bruit calme et apaisant des doigts fins et agiles du corbeau tapotant son clavier comme un musicien inspiré jouerait une partition.
C'était ainsi qu'ils passaient leurs week-ends.
Une sympathique routine, tout compte fait, songea Jongdae en réalignant les paragraphes de texte qu'il avait réussi à produire à partir des informations florissantes qu'il avait regroupé le matin même. Yixing, appuyé contre le dossier du canapé, leva le nez de son bouquin et déverrouilla son téléphone. Notant l'heure avancée, il jeta un regard par la fenêtre la plus proche et constata le ciel qui commençait lentement à se teinter de chaudes nuances embrasées. Il donna un coup de coude à Jongdae, souhaitant attirer son attention, et lui rappela la réponse qu'il lui avait donnée plus tôt. Celui-ci hocha la tête et se leva, reposant cette fois définitivement son appareil sur la table basse.
Du moins, jusqu'au jour suivant, corrigea amèrement Yixing en pensant à combien son colocataire travaillait bien trop pour son bien.
Dépliant ses longues jambes qu'il avait repliées en tailleur quelques heures plus tôt, il le rejoignit pour enfiler à nouveau une couche de vêtements chauds pour la soirée qui s'annonçait plutôt froide. Jongdae, quant à lui, préféra mettre une veste en cuir, tout aussi réchauffante à son avis. Enfin, les deux amis sortirent, laissant derrière eux l'appartement éteint et vide.
Quelques minutes plus tard, un téléphone abandonné sur le plan de travail de la cuisine se mit à vibrer bruyamment. L'habitation était jusque-là si silencieuse que le son de l'appel entrant résonna dans toutes les pièces, proclamant sa présence et affirmant haut et fort les longues pulsations régulières que le petit appareil produisait. Le vacarme était tel qu'il aurait pu en réveiller un mort.
Et un instant plus tard, tout était fini.
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Jongdae poussa un grognement sourd.
L'esprit embrumé, il peina pendant de longues minutes à se réveiller. Lorsqu'il eut recouvert suffisamment de conscience pour esquisser un geste, il frotta ses paupières encore lourdes de sommeil, bâillant à s'en décrocher la mâchoire. Il se releva sur son séant, et, endormi, s'étira comme un chat. Cela fait, il osa enfin déposer ses pieds nus sur le carrelage froid, râlant intérieurement comme un vieux grand-père aigri, et quitta l'ambiance étouffée et léthargique de sa chambre pour gagner l'atmosphère bien réveillée et lumineuse du reste de l'appartement. Après un passage obligatoire aux toilettes qui se fit tout en lenteur, il traîna sa carcasse efflanquée vers le salon-salle à manger, y trouvant sans grande surprise Yixing, déjà habillé et en forme, qui ouvrait les volets en sifflotant presque. Ce n'était pas inhabituel en vérité, parce qu'il travaillait à midi, le dimanche.
Marmonnant un vague « b'jour » à son adresse, Jongdae lança la machine à café d'une main ralentie par la fatigue. Ça non plus, ça n'était pas inhabituel, puisque le dimanche était l'un des rares jours où le jeune homme aux cheveux noirs ne fichait strictement rien. Son corps était au repos, et tous ses gestes étaient mous, comme subitement affaiblis. Amusé, Yixing sourit gentiment à sa vue et répondit à sa salutation tout en buvant le reste de son propre café. Cela fait, il abandonna sa tasse dans l'évier, confiant la tâche de gérer le lave-vaisselle à son ami, et sortit en souhaitant une bonne matinée à Jongdae, qui y répondit par un simple ronchonnement. Il était bien trop fatigué pour être agréable, et cela fit rire le brun qui sortit dans la rue d'un pas joyeux.
Jongdae s'échoua lamentablement sur le sofa.
Sa tasse était brûlante entre ses mains recroquevillées. Il la déposa sur la table basse, et attrapa son ordinateur portable. Il le démarra et reprit son café, ensommeillé et toujours un peu ailleurs. Lentement, il commença à siroter le breuvage miraculeux en observant l'écran qui s'allumait tranquillement devant ses yeux si foncés qu'ils en étaient presque aussi noirs que ses cheveux. Un soupçon de culpabilité lui tirailla le ventre.
Yixing allait le tuer, si jamais il apprenait qu'il avait recommencé à travailler. Mais peu importe. Jongdae n'était pas de ceux qui bâclaient leur travail, quand bien même il n'aimait pas spécialement le faire, et il préférait terminer ça le week-end en paix au lieu de devoir écrire de petits morceaux tous les soirs de la semaine. Pas question pour lui de se torturer l'esprit alors qu'il rentrait déjà exténué après la journée passée à subir le vacarme de ses collègues. C'était une question de préférence, s'était-il d'ailleurs défendu la première fois que son colocataire l'avait attrapé en train de bosser au lieu de se reposer.
Jongdae ouvrit à nouveau son fichier d'écriture, et relit en diagonale tout ce qu'il avait déjà fait. Puis, tandis qu'il allait pour continuer distraitement à faire ce qui allait inévitablement agacer son ami, son téléphone sonna depuis la cuisine. Il vibra si puissamment que le jeune asiatique en sursauta fortement, se levant d'un coup comme s'il avait été électrisé, et il se rua pour aller éteindre l'objet de Satan.
Il grogna lorsqu'il vit le nom qui s'étalait sur ce dernier, et se contenta de raccrocher directement. Il n'était pas d'humeur, aujourd'hui, et il ne l'aurait certainement pas été non plus un autre jour, pour être tout à fait honnête. Le jeune homme, qui avait été sorti bien trop brusquement de son état de semi-éveil par le bruit du démon, soupira et finit par tourner les talons pour revenir auprès de son support de travail. Cependant, ses yeux foncés s'écarquillèrent lorsqu'il vit dans quel état il avait laissé la table basse lorsqu'il s'était précipité vers le diable technologique. Son café s'était renversé et la tasse était à présent sur le côté, l'anse appuyée contre le bois de la table basse. Le liquide sombre s'était répandu, et pas qu'un peu… Il s'était propagé sur l'ordinateur portable, infiltrant la moindre des interstices du clavier et créant peu à peu une mini-flaque autour du cadavre numérique. Jongdae observa le carnage, bouche-bée, puis il jura à voix haute :
« Et merde ! »
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Bonjour. ( ͡° ͜ʖ ͡°)
J'espère que ce chapitre vous plaira et saura conserver votre attention :3 Je sais que ça peut paraître très long, mais c'est la mise en place, une fois que tout le décor aura été construit, les personnages entreront en action ! ;P
- Nyal