Note : Ma bêta-lectrice étant absente, il est possible que quelques coquilles m'aient échappée. Je m'en excuse d'avance.
Bonne lecture !
- Nyal
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Perçant le silence assoupi qui régnait dans la pièce, la vibration stridente du réveil résonna.
Dans un concert de grognements, une main surgit hors du fouillis de draps et tapota aveuglement la table de chevet, avant de finalement effleurer le téléphone responsable des secousses répétitives et de s'en saisir. Avec un geste qui semblait presque mécanique, comme s'il avait mémorisé la position exacte du bouton qui permettait de désactiver l'alarme, Jongdae éteignit enfin la sonnerie, laissant une certaine tranquillité se réinstaller dans la chambre.
Cependant, il savait que le sommeil l'attendait au tournant, prêt à reprendre contrôle de son corps à la moindre perte de concentration. Aussi, Jongdae s'empressa de rejeter la mince couette qu'il utilisait en automne et posa ses pieds sur le sol froid en grimaçant au contraste de température. Quittant à regret son lit encore chaud, il se leva et se déplaça dans l'appartement pour atteindre la cuisine, seul endroit qui l'intéressait à cette heure-là du matin – avec les toilettes, bien sûr.
Distraitement, il fit sa petite routine, lançant la machine à café avant de retourner dans sa chambre pour se poster devant son armoire, les mains sur les hanches. Après une minute de réflexion, il se déshabilla, lançant négligemment son pyjama sur son lit, et prit sélectivement un jean gris confortable et une paire de chaussettes blanches. S'asseyant sur le bord de son lit, il entreprit alors d'enfiler ses vêtements, écoutant à travers les murs le ronronnement régulier de la cafetière d'un air absent. Cela fait, il secoua vigoureusement la tête pour se sortir de sa torpeur et décrocha une chemise blanche de l'un de ses cintres pour la revêtir. Un peu plus présentable, il retourna éteindre la machine à café et s'en versa une tasse qu'il laissa refroidir un peu après y avoir ajouté un sucre. La sirotant d'une main de cette habileté qui ne s'acquérait qu'au fil du temps, il mit ses chaussures de l'autre et vérifia le contenu de sa grande sacoche noire. Il hésita un instant, mais finit par y glisser
'Toujours', entre deux chemises en carton et une pomme.
Un rapide passage à la salle de bains pour coiffer sa tignasse noire et courte, un autre aux toilettes pour éviter de devoir utiliser celles de son lieu de travail avant la pause de midi, et le voilà qui fermait enfin la porte de l'appartement à clé, non sans avoir auparavant jeté un coup d’œil à son colocataire encore endormi pour vérifier que tout allait bien.
Et puis, pour aller au travail, Jongdae prit le tramway.
Rien de bien exceptionnel là-dedans. Il n'avait pas le choix, l'entreprise était bien trop loin pour qu'il puisse faire le trajet à pied, même en se levant plus tôt, ce n'était juste pas possible à moins d'apprécier faire du sport dès le matin. Inutile de dire que ce n'était absolument pas le cas de Jongdae…
Alors, il prenait le tram.
Pas un très bon moment dans sa vie quotidienne, s'il devait être tout à fait honnête. Tous ces gens, pressés les uns contre les autres, affichant une mine déterrée et des bagages sombres bien remplis sous les yeux, avaient la malheureuse habitude de lui transmettre un peu de leur fatigue chronique. Entre ceux qui somnolaient encore, la tête penchée vers la paroi en métal, et ceux qui, shootés à la caféine, tiraient une expression maussade en surveillant leur montre, le tramway était toujours plein, mais Jongdae arrivait toujours à se frayer un passage. Pour cela, il utilisait allègrement sa taille fine et son sourire d'excuse timide pour se glisser entre deux personnes, quitte à essuyer quelques regards de travers. Parfois, il parvenait à se dénicher une place assise, et bien que le fait en lui-même soit totalement futile, cela lui procurait toujours un peu de bonne humeur de pouvoir profiter d'un siège sous son fessier de bon matin. Enfin, après quelques longues minutes passées les yeux perdus dans le paysage urbain, Jongdae finissait par sortir du véhicule public, étouffé dans la masse qui se dirigeait au pas de zombie vers les bureaux.
Et c'était à ce moment-là que commençait réellement sa journée.
Coincé entre deux petits bureaux alignés comme des rangs d'oignons dans un
open space pas si
open que ça, son propre espace de travail ne devait mesurer, à vue de nez, pas plus d'un mètre sur un mètre. Des piles de papiers s'y entassaient, et même si au premier regard, on pouvait penser qu'il régnait ici un bazar sans nom, ces rapports étaient en vérité parfaitement triés dans un ordre que seul Jongdae arrivait à comprendre et à retenir. (Un jour, Yixing s'était essayé à éplucher ceux qui s'accumulaient chez eux. Il était reparti au bout d'une minute, traumatisé.) Désormais, Jongdae ne craignait plus la présence de ses collègues qui l'entouraient comme le pain d'un sandwich, puisqu'au bout de deux longues années de travail, ceux-ci avaient fini par intégrer qu'il ne fallait absolument pas toucher à ce qui était dans le mètre carré attribué à l'asiatique – et encore moins y étaler leurs propres affaires.
Mais plus que le risque de se faire voler, ou encore le cruel manque d'intimité et d'espace pour respirer qui se faisait ressentir à chaque fois que Jongdae rejoignait les locaux, c'était surtout le bruit de fond qui le dérangeait. Une atmosphère fourmillante accablait constamment l'employé aux cheveux noirs, et le niveau de décibels finissait toujours à coup sûr par lui filer la migraine s'il ne mettait pas un casque avec de la musique suffisamment forte pour bloquer les conversations parasites qui s'échangeaient bruyamment autour de lui.
Une fois que ses affaires contenant les sujets qu'il avait emportés à la maison furent soigneusement rangées, Jongdae souffla et entreprit de continuer là où il s'était arrêté la dernière fois, soit trois jours auparavant. Il tenait à séparer la masse de travail qu'il abattait à la maison et celle qu'il accomplissait au sein des bureaux de l'entreprise. Ainsi, il ne se mélangeait pas, et avançait plus vite. C'était d'ailleurs pour cela que la première chose qu'il fit, une fois correctement installé, fut de prendre la feuille sur laquelle il avait réécrit son article à la main, inspirer un bon coup et se tourner vers son collègue de droite. Celui-ci, les yeux concentrés sur son écran, affichait comme d'habitude une mine assombrie. Ses sourcils noirs étaient froncés de façon infime, et il fallait bien être à moins d'un mètre de lui pour remarquer à quel point une certaine contrariété bouillait en lui. Les muscles du visage contractés pour ne pas laisser ressortir la moindre émotion - si ce n'était ses lèvres pincées -, il semblait pouvoir exploser à tout moment.
Hm, ouais. Mauvaise idée.
Jongdae se retourna donc de son côté gauche, espérant que son autre voisin serait d'une meilleure humeur et lui épargnerait donc de devoir se lever en quête d'une âme charitable. À son grand soulagement, le brun qu'il avait en face de lui (et qu'il dépassait de quelques centimètres) avait un grand sourire lumineux et était en train de discuter joyeusement et presque bruyamment avec un autre homme. En tant que personne qui préférait travailler silencieusement dans son coin, Jongdae, en deux longues années de travail au sein de la même entreprise, avait fini par retenir la quasi-totalité des noms des employés de la boîte, ainsi que la majorité des rumeurs que faisaient circuler certains d'entre eux. Ainsi, cela ne lui prit que quelques secondes pour reconnaître les yeux vifs encrés d'eye-liner qui ne pouvaient appartenir qu'à Byun Baekhyun. Probablement l'une des personnes qui appréciaient le plus les ragots, Jongdae se souvenait néanmoins de lui comme étant une personne ouverte et au bon fond - quand bien même il fallait beaucoup chercher pour trouver cette étincelle de bonté. La présence de la feuille dans ses mains se rappelant à lui, le rédacteur finit par se racler la gorge, tentant discrètement d'attirer l'attention de l'autre. Bon, évidemment, avec le brouhaha qui régnait dans l'
open space, ce dernier ne l'avait pas entendu, aussi, il dut s'y reprendre à plusieurs fois pour que le calomniateur réagisse enfin.
Aux bruits inhabituels qu'il venait d'entendre – et pour cause, son voisin était d'usage si silencieux ! -, Baekhyun se détourna aussitôt de sa conversation et dirigea son attention vers Jongdae. Il cligna des yeux, puis demanda, surpris :
- Oui.. ?
Jongdae se frotta la nuque de sa main libre, intimidé :
- Uhm, je me demandais si tu pouvais me prêter ton ordinateur portable, juste pour quelques minutes…
Devant le visage pointu de son interlocuteur qui semblait peint d'un certain choc, il s'empressa de se justifier, bredouillant :
- … parce que le mien a eu un petit accident ce week-end et je-
- Bien sûr !
Les yeux sombres de Jongdae s'écarquillèrent, alors qu'il sursautait au brusque éclat de son collègue. Ce dernier, aussitôt, poursuivit d'une voix joyeuse et presque surexcitée :
- Pas de soucis ! Je comprends totalement, les ordinateurs sont absolument pourris ici, pas moyen d'ouvrir un fichier Word sans que ça plante au bout de trois secondes, une vraie horreur ! En plus, j'ai cru comprendre que les supérieurs s'étaient récemment offerts de nouveaux fauteuils encore plus confortables que les anciens avec l'argent qui était censé servir à nous donner de meilleurs postes de travail, j'te jure, j'sais pas ce qui me retient d'aller leur faire bouffer mon contrat de travail par-
- Baek, ton ordinateur portable.
- Ah oui, bien sûr. Si tu pouvais me le rendre avant la fin de l'heure, ça m'arrangerait d'ailleurs, parce que je dois rendre un rapport à la vieille bique, et tu peux compter sur elle pour aller minauder chez le grand patron et me foutre dehors si je…
Sans un bruit, Jongdae remercia discrètement celui avec qui Baekhyun discutait et qui l'avait interrompu avant qu'il n'oublie sa demande. Celui-ci lui fit un clin d’œil complice avant de se raccrocher aux paroles qui se déversaient de la bouche délicate du plus petit à la vitesse de l'éclair dans un flot qui semblait sans fin. Intérieurement, Jongdae soupira de soulagement. Il n'avait même pas eu à se présenter, finalement. À croire que Baekhyun le connaissait déjà…
Bref, toujours était-il qu'il avait maintenant accès à un ordinateur portable bien plus utilisable que l'antiquité qu'on lui avait attribué, et s'il ne lui procurait pas la même familiarité que le sien, et bien tant pis, il ne pouvait pas vraiment se permettre de faire la fine bouche. La machine soigneusement posée sur son bureau – il ne tenait vraiment pas à récidiver – et son brouillon d'article à côté, il lança le logiciel de traitement de texte et se mit à taper, ses doigts habitués volant au-dessus des touches, ne les effleurant que brièvement avant de s'en aller à tire-d'aile vers d'autres pour retranscrire ses propres mots le plus rapidement possible.
Il ne s'était pas ennuyé à remettre son casque, au bout d'une dizaine de minutes, c'était déjà terminé.
Se connectant à sa boîte mail – déconnectant au passage celle de Baekhyun qui semblait bourrée de mails non-lus et de publicités -, il s'envoya à lui-même le fichier en pièce jointe, comptant le récupérer plus tard une fois son ordinateur portable à nouveau en sa possession. Jongdae supprima ensuite toute trace de son activité sur celui du petit brun et lui rendit, optant pour le déposer sur son bureau plutôt que de l'interrompre dans sa discussion qui ressemblait plus à un monologue commenté qu'à un véritable échange. Puis, il regarda d'un air dubitatif l'écran noir qui lui faisait face.
Ce n'était pas comme s'il avait vraiment le choix, pas vrai ?
Il appuya sur le bouton qui mettait en marche la tour, et attendit. Se penchant un peu, il entendit un lourd vrombissement, comme si la machine tournait de toutes ses forces. De plus en plus suspicieux, il posa sa paume contre la structure en métal et la retira au bout de quelques secondes, surpris par la température presque brûlante de l'ordinateur.
- À ta place, je ne serais même pas venu.
Jongdae se releva aussitôt et se tourna en direction de l'auteur du commentaire. Son expression se détendit quand il reconnut l'homme avec qui Baekhyun passait son temps à ragoter, et qui l'avait aidé seulement une quinzaine de minutes plus tôt. Amusé, celui-ci lui tendit sa main dans une invitation muette, et se présenta :
- Zitao, mais tu peux m'appeler Tao.
Ses cheveux blond platine tombaient en bataille sur son front, tandis qu'il tentait de dompter ses mèches rebelles de ses doigts. Ses yeux foncés semblaient cerclés de noir, comme un panda, et il observait Jongdae avec un air infiniment confiant. Décidant qu'il trouvait le côté nounours-adolescent-rebelle du jeune homme très mignon, Jongdae eut un petit sourire et serra sa main. Alors qu'il ouvrait la bouche pour donner son nom, Tao s'empressa de l'interrompre :
- Tu dois être Jongdae, c'est ça ?
Rendu muet, -
à croire que tout le monde connaissait son nom ! -, celui-ci acquiesça de la tête. Voyant son expression pour le moins perturbée, Zitao expliqua aussitôt d'un ton rassurant, répondant à sa question silencieuse :
- Tu sais, à force d'écouter la diva bavarder, on finit bien par apprendre tous les noms des collègues par cœur…
- Je te signale que la diva est plus âgée que toi !, hurla d'une voix plaintive le concerné depuis l'autre bout de la pièce, alors qu'il était parti se servir un verre d'eau.
- … mais ne t'inquiète pas, continua le blond en ignorant volontairement l’intervention du petit brun, même s'il aboie beaucoup, il ne mord pratiquement jamais. Aie ! C'était pour quoi, ça ?, geignit-il en se frottant le crâne.
- Tu me dois le respect, petit con !
- Ben, c'est-à-dire que, en l'occurrence, je suis plus grand que toi alors- Maiiis !
Jongdae, amusé par la situation peu ordinaire qui lui faisait face et qui lui rappelait un peu ses propres chamailleries avec son colocataire, observa les deux énergumènes monter peu à peu en volume. À chaque sermon de Baekhyun, Tao trouvait toujours moyen de lui retourner l'argument, entraînant de multiples coups ainsi que des couinements en tout genre qui résultaient de ceux-ci.
- … MAIS PUISQUE J'TE DIS QUE C'EST INHUMAIN, L'ANANAS SUR LA PIZZA !
Bon, cela dit, peut-être bien que le sujet de conversation avait
légèrement dévié.
- MAIS VOUS ALLEZ LA FERMER OUI ?!, rugit une voix derrière Jongdae.
Sursautant violemment, ce dernier se retourna pour faire face aux yeux grands ouverts et assombris par la colère de son second voisin de bureau. Dire que le jeune homme qui devait avoisiner la même taille que Baekhyun, aux cheveux noirs coupés courts et à la bouche dessinée en cœur avait l'air exaspéré aurait été un terrible euphémisme. Furieux, enragé même, auraient probablement mieux convenu, et c'était tout ce à quoi pouvait songer Jongdae en reculant d'un pas devant son collègue qui semblait irradier de colère.
- Qu'est-ce qu'on en a à foutre des pizzas hawaïennes ?! Vous êtes ici pour travailler, et je ne compte pas me taper tout votre boulot encore une fois !
Dans le silence de mort qui suivit son éclat, l'homme se rassit, une aura courroucée subsistant toujours autour de lui. Jongdae cligna des yeux. À côté de lui, Zitao murmura du coin des lèvres à Baekhyun :
- Tu penses que sa cafetière est en panne, et genre, il a pas eu son café du matin ?
En réponse, le plus petit étouffa un rire et, de peur de contrarier à nouveau le concerné, souffla en haussant des épaules :
- Aucune idée. Après tout, c'est Kyungsoo, il est toujours sur les nerfs.
- Oui, enfin, il est quand même rarement aussi rapide à péter un câble. D'habitude, ça prend au moins cinq bonnes minutes de plus…
- Je vous entends, vous savez, remarqua presque trop calmement ledit Kyungsoo.
Jongdae choisit sagement ce moment-là pour se retourner prudemment vers son bureau, décidant que remettre le nez dans ses propres affaires comme il le faisait normalement était finalement une bonne idée, plutôt que de risquer de devenir un dommage collatéral dans cette querelle quotidienne. Pour lui, la situation n'avait pas changé. Certes, l'écran s'était allumé, mais en voyant combien l'ordinateur peinait à ouvrir un navigateur internet, Jongdae considéra sérieusement l'idée de prendre sa journée et de ramper aux pieds de l'ami de Yixing en le suppliant dans toutes les langues qu'il connaissait. Tao et Baekhyun, quant à eux, semblaient avoir décidé de laisser Kyungsoo tranquille et s'étaient remis à discuter joyeusement, écrivant de temps à autre une phrase ou deux sur leurs propres ordinateurs. Jongdae soupira muettement, et se mit à réfléchir à une alternative, les coudes posés sur le bureau, la tête entre les mains et ses doigts fourrageant dans ses mèches noires, les réorganisant aussitôt après les avoir dérangées comme dans une chorégraphie étrange.
Optant pour la seule option – aussi désespérée fut-elle – qui se présentait à lui pour l'instant, il se leva, abandonnant là ses affaires, et se dirigea vers la petite salle que les employés avaient aménagée pour y installer une cafetière médiocre et la fontaine à eau que la tête du département leur avait gracieusement accordée après de nombreuses supplications. S'adossant à l'un des murs blancs de la pièce vide de personnes qui s'avérait être un peu isolée du brouhaha de l'
open space, il sortit son cellulaire de sa poche et, après une rapide manipulation, le pressa contre son oreille. Au bout de quelques tonalités, la voix douce de son colocataire résonna finalement :
- Oui ?
- Hey Yixing ! Je suis désolé de te déranger, mais je voulais juste savoir si tu avais reçu des nouvelles de mon ordinateur ?
- Mhm, acquiesça l'autre, t'as de la chance, je viens d'avoir un message à l'instant de Chanyeol. Il est en train de travailler dessus, je pense qu'il me renverra un SMS quand il aura terminé – si ça peut se réparer, bien sûr, ajouta-t-il après une courte réflexion.
Jongdae retint un soupir de soulagement.
- Parfait. Merci Yixing, t'es génial.
- C'est pas à moi qu'il faut dire ça, Daedae, rit son colocataire. Mais merci quand même pour le compliment.
Le rédacteur aux traits asiatiques sourit, et, quelques mots échangés plus tard, raccrocha. Il sursauta pour la troisième fois de la matinée quand ses yeux sombres rencontrèrent brusquement ceux soulignés d'eye-liner de Baekhyun, qui sirotait un nouveau verre d'eau en le fixant. Tout plongé qu'il était dans sa conversation avec le serveur, il n'avait même pas remarqué l'entrée du plus petit, qui n'avait pourtant pas été si discrète que ça. Mais ce ne fut pas ce que celui-ci décida de faire observer. Non, oubliant un moment que quelqu'un l'avait ignoré, ce qui, il fallait l'avouer, arrivait rarement à la diva calomniatrice, Baekhyun préféra plutôt demander nonchalamment, une pointe de curiosité perçant sous sa voix claire :
- C'est qui, Yixing ?
Hésitant un instant à offrir une parcelle d'information qui le concernait à, devions-nous le rappeler, la source numéro une de ragots de tout l'immeuble, Jongdae finit par lâcher nerveusement :
- Mon colocataire. Pourquoi ?, fit-il aussitôt, sur la défensive.
Baekhyun haussa des épaules, levant les mains en signe d'innocence.
- Oh, rien, je me demandais juste. Je crois bien qu'on s'est jamais vraiment parlés en deux ans, du coup, je m'intéressais, c'est tout.
- C'est vrai, admit le rédacteur aux cheveux noirs avant que, curieux, il ne poursuive, comment tu sais que ça fait deux ans que je suis là ?
- Je sais tout, Jongdae, déclara tranquillement la diva brune en tapotant amicalement son épaule et en descendant d'une traite l'eau qu'il restait dans son verre en plastique.
Puis, jetant ce dernier à la poubelle recyclage au passage, il se dirigea vers la porte de la salle de repos. Avant de sortir, Baekhyun se retourna brusquement vers l'autre, et, les yeux écarquillés, répéta d'un air dramatique :
- TOUT.
La porte claqua. De l'autre côté, des grognements agacés s'élevèrent, tandis que Jongdae fixait le panneau de bois, figé sur place. Enfin, il explosa de rire, à la fois complètement sidéré et agréablement surpris par cette facette qu'il ne pensait pas découvrir de la terrible vipère que la plupart des employés décrivaient dans le dos de celle-ci. Bien sûr, il ne doutait pas du côté plus sombre de Baekhyun, mais si l'on admettait que toute personne n'était que faite de nuances de gris, alors Jongdae se permettait d'apprécier le contact inattendu qui avait éclairci sa matinée.
Enfin, songea-t-il en rejoignant à son tour l'
open space, en attendant, tout ceci ne réglait pas son dilemme.
Car s'il avait un début d'espoir en ce qui concernait l'idée de récupérer son fidèle ordinateur avant le lendemain, il lui restait encore une bonne demi-journée à combler efficacement sans moyen de travail. Il ne pouvait décemment pas travailler sur l'antiquité qu'on lui avait refourguée – et qu'il avait, en toute honnêteté, dédaignée dès son premier jour au sein de l'entreprise – et il n'avait pas le droit de quitter les locaux sans l'autorisation de son patron. Que faire, alors ? Devait-il véritablement se tourner les pouces pendant quatre heures ? Jongdae en était perplexe rien qu'à l'idée. Il pouvait peut-être tenter d'aller voir le chef de secteur pour lui demander s'il pouvait partir exceptionnellement plus tôt, mais avait-il vraiment envie de traiter avec le supérieur qu'il avait réussi à plutôt bien éviter depuis qu'il travaillait dans cette boîte ? Le rédacteur n'était pas sûr, et les hurlements de colère que les employés entendaient parfois venir du bureau du concerné ne le rassuraient pas le moins du monde.
En résumé, il avait donc beaucoup de temps à disposition avec pour seule contrainte le fait de devoir rester dans l'immeuble.
Jongdae frotta la peau tendue de son poignet d'un air absent, et laissa ses yeux foncés traîner sur son entourage. À la recherche de quoi, il n'en savait trop rien. Lorsqu'il vit Baekhyun et Zitao rigoler ensemble et se chamailler à nouveau, il peina à retenir un énième soupir. Ce fut à ce moment-là qu'il constata que, si à travers le temps qu'il avait passé ici, il avait réussi à se tailler une réputation confortable et discrète, cela avait aussi ses désavantages. Les gens le laissaient tranquille, oui, mais c'était tout juste s'ils engageaient la conversation avec lui. Et le silence, à long terme, n'était jamais quelque chose d'agréable – contrairement à ce que l'on pouvait l'imaginer.
Puis, son regard tomba sur sa sacoche qui reposait appuyée contre l'intérieur de son bureau.
Il hésita un instant. Jongdae était de ceux qui avaient des principes, et se divertir dans un lieu où il était censé travailler n'en faisait pas partie. L'asiatique se tortillait sur sa chaise, mal à l'aise tandis que sa raison balançait entre son esprit pragmatique et ses pensées qui le ramenaient immanquablement aux règles tacites de la vie en entreprise.
Oh et puis zut.Rapprochant sa chaise de son bureau, Jongdae attrapa son sac et en sortit le livre
Toujours qu'il y avait glissé le matin même. Tournant les pages pour retrouver celle qu'il avait marquée à l'aide d'un post-it jaune, il jeta un dernier coup d’œil à ses voisins – dont Zitao qui s'amusait à faire couiner les roulettes de son fauteuil et Kyungsoo qui le fusillait du regard à intervalles réguliers – puis se replongea dans l'ouvrage qui semblait tant le captiver.
« J'ai une amie à qui on a diagnostiqué un trouble bipolaire il y a quelques années. »- Hé Baek', tu peux me filer un stylo trente secondes s'il te plaît ? J'ai paumé le mien…
« Bien sûr, le problème ne réside pas là. Il existe désormais des traitements efficaces, et au début, juste après qu'elle ait enfin mis un nom sur ses violentes sautes d'humeur, elle arrivait plutôt bien à gérer la situation. On l'a vue se transformer, devenir plus stable. La ''maladie'' était reléguée au second plan, tout allait bien. »
- Bon sang, Tao, je te jure que je vais t'étrangler si tu n'arrêtes pas ça tout de suite… !
« Et puis, ça a recommencé. Un jour où j'allais chez elle pour lui rendre la cafetière qu'elle m'avait prêtée - la mienne était cassée, je ne pouvais pas survivre sans café et elle n'en boit pas… -, elle a fait une crise. J'ai cru me prendre un ouragan en pleine tête. Je pensais ne plus jamais la voir dans cet état, et pourtant, ce jour-là, elle m'a insultée à multiples reprises, disant que je la lui avais volée et que j'étais une menteuse. C'était effrayant. »- Mais non mais, Kyungie ! Arrête de l'étouffer, comment je vais faire moi après pour retrouver un panda ? Blondinet, en plus ! T'imagines la galère que c'est, franchement ?
« J'ai appris plus tard que c'était un comportement qu'une certaine part de bipolaires adoptaient – volontairement ou non, d'ailleurs. Au moment où le traitement faisait effet et où tout se remettait en place, ils finissaient par arrêter de le prendre, pensant que tout était réglé. (Ce qui n'était pas le cas, évidemment.) J'ai donc vu mon amie redevenir lunatique, changeant du tout au tout à la moindre perturbation, au moindre événement dans sa vie - comme un nouveau petit-ami, par exemple. Je ne suis qu'une simple amie, et je n'ose pas lui en parler. Que faire ? »- Euh… Tao ? Qu'est-ce que tu fiches, accroché à ma jambe ? Je sais bien que je t'ai sauvé d'une mort certaine mais enfin, je préférerais que tu te mettes à genoux et que tu acceptes l'idée qu'on appelle ça une chocolatine au lieu de-
« → Bonjour. Aussi complexe que puisse être l'être humain, il reste possible d'arriver à prévoir ses réactions dans certaines situations. Je comprends, à vrai dire, votre réticence à l'idée de risquer de vous recevoir un refus violent pour avertir votre amie, mais il vaudrait mieux le faire avant qu'elle ne se blesse ou qu'elle ne blesse quelqu'un d'autre. N'hésitez pas à essayer de contacter sa famille si vous êtes inquiète, pour savoir s'ils ont déjà pris les choses en main. Quant à ce problème de traitement, il existe également la psycho-éducation en parallèle des médicaments, qui lui permettrait d'être déjà un peu mieux encadrée afin d'éviter les rechutes et les hospitalisations.
Bon courage à vous ainsi qu'à votre amie, je vous souhaite de réussir à l'aider et à elle de s'en sortir. »- Hé ! Lâche ces ciseaux Panda, c'est pas la bonne solution, d'accord ?! Oh mon dieu, Jongdae, cache-moi !