Les enfants des Dieux - Chapitre 16

Point de vue Myorica, à écouter avec cette musique :
Par le trou creusé dans la planche du fort, on distingue parfaitement le cortège funèbre de ma sœur. Pour ma part, je suis à la fois angoissée et terrifiée, en plus du fait que je ne peux rien faire pour la sauver. Je ne joue pas mon rôle de sœur protectrice et attentionnée, et j’ai honte, tellement honte de moi…! Comment est-ce que je peux te sauver petite sœur ? Est-ce que, seulement, je peux te sauver ? Aide-moi Suko ? Où es-tu… ? Je ne sais que faire pour te retrouver…

   Cherry me pousse légèrement pour elle aussi assister à ce spectacle de désolation. Elle semble réfléchir à toute vitesse. Elle, c’est une vraie flèche pour ça…J’imagine déjà Suko, tombant sous nos yeux, les siens blancs et livides, tandis qu’un long râle de reproche sort de ses lèvres pâles de peur. Cherry se tourne vers moi d’un visage que je ne lui connaissais pas. C’est un visage chaleureux et compréhensif, un visage patient et doux.
-Ch…Cherry ? je murmure.
-Ne t’en fait pas Myorica. Elle immortelle, elle va s’en tirer.
   Ces simples mots me rassurent et me calment, comme si elle avait su m’apaiser avec son sourire pour unique arme. Elle a beau être plus jeune que moi, elle assure…Plus que…
   J’éclate en sanglot. Oui, c’est bête. Mais ce sentiment d’impuissance combiné à l’envie de garder mon sang-froid donnent un liquide fade et baveux. Nayara m’enlace et me caresse les cheveux avec compréhension.
-Cherry a raison, chuchote-t-elle, il ne faut pas t’en faire. Tu n’es pas responsable du mal qui frappe Suko. C’est cette espèce de secte la coupable.
   Elle a raison. Et pourtant…Je ne peux m’empêcher de penser le contraire. Je pourrais peut-être y aller, et la sauver, peut-être que j’aurais le temps de…
-Je vais y aller, déclare Cello. Je vais essayer de sortir Suko de là.

   Qu’est-ce qu’elle raconte ? Non ! C’est moi qui vais y aller, c’est moi qui dois la sauver c’est moi qui…
-Non, je vais y aller, je rétorque. Je ne peux pas rester ici alors que tu es en train de te battre pour sauver ma sœur.
-Pareil pour moi, enchaîne Nayara. Je refuse que tu risques ta vie pour Suko.
   Naya’…Comme je…

   Sans attendre, Cello s’engouffre derrière la planche et laisse derrière elle une odeur de myrtille. J’essaye de lui attraper un pan de sa tunique, mais elle est trop rapide, et me devance. Alors que j’allais la suivre, quelqu’un m’entoure de ses bras pour me retenir.
-Cherry ! je proteste. Lâche-moi immédiatement ! Tu vois bien qu’elle court droit à la mort et qu’elle…
-Alors elle mourra toute seule, me coupe-t-elle. Je refuse que tu y ailles.
-Tu n’es pas ma grande sœur, tu n’as pas à me donner d’ordres !
-D’abord, elle ne mourra pas, elle est immortelle, argumente Black, soutenant ainsi Cello. Ensuite, tu oublies qu’elle a été marquée par les douze Dieux de l’Olympe, et ainsi qu’elle ne fonce pas droit dans le mur, tête baissée, comme quelques folles !
   Je ressens sa parole en plein fouet. Quelques folles ?! Qu’est-ce qu’elle insinue par là ? Je ne…Je ne fais pas le poids. Dès que je me ressaisis, je me rends compte qu’elle a raison. Qu’est-ce que je comptais faire ? Invoquer deux flaques et me barrer avec Suko ? J’ai été ridicule de penser que je pouvais y arriver.

   Des cris fusent. Je perds le fil de mes pensées. Qu’est-ce qui venait de se passer déjà ? J’ai déjà oublié. Une alarme me tue les oreilles sans pitié. Qu’est-ce que ça veut dire ? Nous échangeons des regards incompréhensifs. Cello a échoué ? Elle a été capturée ?
 
   Deux ombres défoncent la planche par laquelle nous avions osé regarder. L’une d’entre elle s’étend sur le sol. Je cours vers la deuxième. Qui s’évanouit aussi.

À écouter avec cette musique :

Devant une nappe orangée tachetée de rouge parfumée de nuages, la lune fait une apparition funeste. Le camp, le fort, cette hutte où demeurent nos ennemis, semble être une bête qui ronfle et qui dort. A la lisière de la forêt, un chant de bohême nous parvient comme une brise qui nous caresse les joues.

Comme un chaton, Suko s’était endormie sur mes genoux. Qu’elle est mignonne avec son sourire espiègle, son sourire que j’ai cru s’être envolé à jamais. Je lui caresse les cheveux, avec tendresse. Une petite goutte s’écrase sur son front, là où je dépose un baiser chaleureux. Cello s’assit en tailleur à mes côtés, et posant sa guitare devant elle, elle passe son pouce en-dessous de mes yeux, pour essuyer une larme.
-Ce serait te mentir que t’affirmer que je suis désolée, Myorica.
   Je ne réponds rien. Je ne sais si je dois lui imposer de la haine ou de la reconnaissance. À mes yeux, elle a sauvé ma sœur, mais elle a été prétentieuse et têtue.
-Pourquoi tu viens alors ? je rétorque d’un ton sec qui n’est pas voulu.
-Je viens pour qu’il n’y ait pas de malentendu, affirme-t-elle. Je ne suis pas partie la chercher pour susciter votre admiration, sache-le. Je voulais juste…Servir à quelque chose. Je sais que ça peut paraître bête, mais jusqu’à hier, j’ai toujours été persuadée de n’avoir comme pouvoir que le don de parler aux animaux. Je voulais utiliser ces nouveaux pouvoirs si mystérieux qui allaient enfin servir à quelque chose.
-Je te comprends. Tu as de la chance…
-J’imagine que tu as raison.
-Bon. Mais à partir de maintenant, tu dois promettre de ne plus agir comme ça, en solo, sur un coup de tête !
-Promis !
   Elle sourit chaleureusement, et je souris aussi.
-Au fait, ta chanson était très jolie ! je la félicite.
-Merci.
   Elle saisit sa guitare et part parler avec Crazy, avec qui elle semble tenir amitié et affection. Quand à moi, je m’endors aussi, et je sens la couverture de Nayara se déposer sur mes épaules, dans mon rêve.

À écouter avec cette musique :

-Atchaa !
   Il pleut. C’est la pluie qui a réveillée Suko, et c’est son éternuement qui m’a réveillée moi. Nos regards se croisent, se séparent, se retrouvent, s’enlacent, c’est bon de se revoir. Ce serait sans doute meilleur si…si…si…Voilà.
-Tu sais, j’ai eu tellement peur, me confie-t-elle.
-Moi aussi, Suko chérie.
   Un fracas de tonnerre retentit au milieu de la forêt. Pendant que la verdure frémit, Suko se lève et me tend la main pour que je fasse de même. Nous sommes vite trempées par la pluie de l’orage qui se déverse sur nous et courrons nous abriter avec les autres sous la cabane que les autres ont construite pendant la nuit. Suko semble encore très épuisée, et je dois la soutenir pour ne pas qu’elle tombe. Quelques mètres avant l’entrée de la cabane, Suko me fait signe de m’arrêter, et me chuchote à l’oreille :
-Tu me promets que tu ne te feras pas prendre, toi, hein ?
  J’hésite avant de répondre. Si je lui dis oui, elle aurait le cœur fracassé de tristesse. Mais je ne peux pas ne pas lui promettre ça.
-Promis.
   On entrelace nos doigts et le froid qui règne dans ses mains me parcourt de frissons qui ne me sont pas agréables. Elle est gelée.
-Ne restons pas là, dis-je simplement. Tu risques de prendre froid.
   Elle ne va pas bien.
-Ça va aller petite sœur ?
-Oui je t’assure !
   Pas bien du tout.