Notre beau Monde...

Je ne sais pas pourquoi ses mots me touchent plus que tout ce qu'il a dit auparavant. Je me relève lentement. Lorsque je suis debout, je le regarde. Il n'a pas bougé, est toujours assis en tailleur à côté des couvertures sur lesquelles j'étais couchée. Je vois la lumière rouge intense du soleil couchant se briser sur ses cheveux noirs et se transformer en rayons dorés. Son visage est à l'ombre, mais comme éclairés par une auréole de lumière pourpre, ses yeux fermés en de fentes noirs. Autrement que lorsque je l'avais vu la première fois il n'est pas effrayant. Il est en colère, oui, il est blessé dans ses sentiments aussi, mais il ne fait pas peur. Il est entouré de la noirceur qui l'accompagne partout, mais il ne l'amène pas sur d'autres gens, cela semble naturel, c'est juste une partie de lui. Même la cicatrice qui traverse son visage n'est plus qu'une ligne tracée par la vie. Je m'éloigne de quelques pas. Il se relève et commence à assembler ses affaires. Tant pis. Je ne peux pas partir. Je me retourne.

« Pourquoi suis-je si importante pour que tu refuses de me tuer ? »

Il hésite, incertain de mon action.

« Ma mère m'a dit qu'il devait toujours y avoir des gardiens dans le pays pour qu'il survive.

- Mais pourquoi?

-… Je ne sais pas. 

- Si je trouve un moyen pour savoir… Est-ce que tu m'accompagnerais? »

Je ne suis pas du tout sûre de ce que je lui propose, mais je veux savoir ce qu'il y a de si important en la présence de gardiens sur ce sol. Thuneo m'avait dit, lui aussi, que ce monde avait besoin de nous, il ne m'a cependant jamais dit pourquoi. 

« Tu penses qu'il existe un moyen de savoir? »

Lui aussi est intéressé, je le sens dans la façon qu'il a de prononcer ses mots. Par contre je doute que c'est pour les mêmes raisons que moi. 

« C'est dangereux…

- Parce que tu crois qu'il y a quelque chose de pas dangereux pour toi ces temps si?

- Ce que je veux dire par dangereux c'est qu'il faudrait aller dans le château du roi.

- Pourquoi tu veux… Ah. La bibliothèque. C'est vrai. Il pourrait y avoir des informations là-bas. Mais tu ne vas pas y aller. Il y a trop de risque! Dois-je te rappeler que le roi est celui qui a ordonné la chasse aux gardiens? Si on va la bas on pourrait aussi bien se suicider. Ça serait probablement moins douloureux. 

- Je ne t'ai jamais demandé de me protéger, c'est toi qui as eu cette idée tu te rappelles? »

Il hausse les sourcils.

« J'imagine que même si je ne viens pas tu iras. 

- Il faut bien que je sache pourquoi tu es passé d'essayer de m'assassiner à me protéger.  Parce que si je suis vraiment importante pour le pays j'aurais un devoir, j'aurais quelque chose de mieux à faire que d'attendre la mort. Je ne pourrais de toute façon jamais avoir une vie normale et être gardien par les temps qui courte n'y n'est pas vraiment facile. Alors oui, j'irai. C'est la meilleure façon de montrer que je suis digne de l'héritage des gardiens. »

Il soupire. Puis fait un simple mouvement de la tête. Ce pourrait aussi bien être de la résignation qu'un d'accord.

« Soit. Je viens avec toi. Mais on attend tes protecteurs avant! Il fait que ce soit le plus sur possible pour toi. Au moins je connais le château, je pourrais me repérer et je sais comment fonctionnent les gardes. Mais si on trouve que tu n’es pas aussi importante qu'il n'y paraît, je te tuerai. »

J'hésite un moment, puis hoche la tête à mon tour. En espérant que si nous trouvons quelque chose, ce sera à mon avantage. 

Je lui tends la main.

« Autant faire correctement. Je m'appelle Anira. Toi c'est Ombre non?

- Kaey

- Pardon?

- Mon nom… C'est Kaey. C'est ma mère qui a choisi. Elle ne venait pas d'ici. »

Je ne suis pas sûre comment je dois réagir. Il est hésitant sur ses mots mais en même temps il a une certaine fierté présente dans sa voix.

«  Kaey. »

Répète-je en essayant de le prononcer comme il l'a fait, mais ça ne ressemble quand même pas.

Pour la première fois un vrai sourire passe sur les lèvres. 

« Quoi? »

Je me sens humiliée, ce n’est pas ma faute si son nom est bizarre ! Le sourire disparaît.

« Tu dois essayer de baisser ta voix vers la fin, au lieux de la monter. »

Je suis irritée un moment mais recommence ensuite. Cette fois ça sonne mieux, mais ce n'est toujours pas la même chose. 

Kaey secoue doucement la tête. 

« Tu n’as qu’à m’appeler Ombre jusqu’à ce que tu saches le dire. Tes amis font ça aussi…

-       En parlant d’eux… Tu penses qu’ils arriveront quand ?

-       Deux, trois heures je pense…»

Je m'endors durant l'attente, toujours épuisée des blessures de la veille. Le soleil c'est couché finalement et l'obscurité a recouvert la forêt, assombrissant les couleurs froides mais relevant la lueur dansante du feu. Mes yeux restent figés sur cette danse et se ferment peu a peu, tandis que mes pensées dérivent vers le ciel, tournoyants, s’envolant, toujours plus haut, la ou les rêves sont possibles et la normalité n’existe pas.