Chapitre 1 : De 2 à 4 ans.
Je me rappelle…
Mon grand père me souleva et m’assis sur ses genoux frêles et maigres. Sa barbe blanche chatouillait le sommet de mon crâne brun. Je levai mes grands yeux vert émeraude vers lui en souriant.
« Tu sais, Ève, commença-t-il de sa voix rocailleuse, cette ferme est vieille. Elle a vu de nombreuses familles. Enfin non, ma belle, elle n’a pas vu des nombreuses familles, elle n’en a vu qu’une. La nôtre ! Et tu verras, un jour, tu assiéras tes petits enfants sur tes genoux sur cette même chaise… »
En ce temps là, j’étais bien trop jeune pour comprendre le sens de ses mots. Je me contentai de l’écouter conter ses histoires avec une aisance fascinante !
« Tu y verras tes enfants grandir ! Tu verras ma belle, je suis sûr que tu aimeras la vie à la ferme ! Tout comme Emma. »
Emma, c’était ma sœur. Elle venait de naître alors que je n’avais que deux ans. Mais je l’adorais déjà. Elle avait de petits yeux bleus en amande et quelques cheveux châtains poussaient au sommet de son crâne. J’adorais m’occuper d’elle ! Rien que la regarder me faisait rêver…
L’année suivante, mon grand-papi me prit une nouvelle fois sur ses genoux, comme toujours. Et, comme toujours, il me conta l’une de ses merveilleuses histoires.
« Tu sais ma belle, lorsque j’étais aussi jeune que ton cousin Jim, au village, il y avait une jeune femme qu’on appelait Aurore.
-Co’e ‘a ’incesse ? Arrivais-je tant bien que mal à articuler. »
J’apprenais seulement à parler.
« Bien sûr ! Et toi aussi, tu es une princesse. Donc ! Où en était ton vieux papi ? Ah oui ! On la nommait ainsi car on la croisait toujours aux aurores sur le pont au sud du village. Elle était grande, mince et une longue chevelure blonde flottait autour d’elle. On ne savait rien d’elle. Mais un jour, un jeune homme du nom de Charles l’aborda.
-C’é’ait ‘oi ? Lui demandais-je innocemment. »
Je le vis sourire largement et rire.
« Tu es bien maligne pour ton âge ! Oui, c’était bien moi. Bon, je reprends mon histoire. La jeune demoiselle lui sourit largement et ils discutèrent bien toute la matinée ! Le soleil se levait sur eux. Ils riaient, tout les deux. À l’heure du repas, le garçon invita Aurore au restaurant du village. Ils y mangèrent joyeusement. Pour la première fois, on voyait la belle du pont sourire. Cette dernière confia à Charles qu’elle était depuis orpheline et qu’elle habitait chez son oncle. Charles et Aurore ont continué de se voir, souvent, et, lorsqu’ils surent en âge de se marier, comme ils se l’étaient promis, ils se marièrent. Et voilà ce qu’elle est devenue maintenant. »
Mon grand-père leva la main vers ma grand-mère qui affichait un sourire tendre. Elle avança et la prit avant de venir l’embrasser.
« É’ co’e ha que ‘ous ‘ous ê’es co’us ?
-Oui ma belle. Et je ne regrette rien. »
Mes grands-parents se regardèrent amoureusement. Moi, je ne comprenais pas ce qu’était réellement l’amour. J’étais encore bien trop jeune, à 3 ans, mais cela me fit tout de même sourire.
À quatre ans, mes grands-parents s’aimaient toujours autant. Mais ils paraissaient plus triste. J’étais toujours trop jeune pour comprendre, je ne me posais pas de questions. Juste, je vivais. Et lorsque je riais d’un éclat insouciant, je pouvais voir la joie revenir dans leurs yeux et des sourires francs sur leurs visages. Et cela me suffisait pour que je sois heureuse. Ma sœur, elle, avait aussi grandi. Elle avait 2 ans. Je l’aidais et lui apprenais à marcher, à parler. Tout en fait. Je me plaisais à jouer la maîtresse. Elle était aussi curieuse que moi mais elle avait bien plus de difficultés à s’exprimer. Je ne le comprenais pas, alors je m’énervais sur elle. Et, lorsqu’elle pleurait, je la serrais contre moi en m’excusant. Je ne supportais pas de la voir pleurer et surtout à cause de moi.