[Matoine : Déserteurs] Chapitre 5 : Seuls face au monde

Leur longue marche les épuisait. Leurs pieds souffraient. Ils décidèrent de s'arrêter le temps d'une journée et d'une nuit. Ce n'était rien, après tout, mais s'éterniser plus longtemps au même point leur paraissait trop dangereux. Ils s'assirent donc devant un plan d'eau dans un silence pesant. Ils ne savaient plus quoi dire, alors ils ne disaient rien, mal à l'aise au possible. Leurs membres eurent enfin la joie de se décontracter. Ils apprécièrent longuement la vue qui s'offrait à eux, loin de toute l'agitation du Nord. Mais ça n'allait pas durer, ils s'en doutaient. Ils relâchèrent toute la pression accumulée ces derniers jours quand, dans la plus grande innocence, Antoine demanda à son collègue :

« Tu penses qu'ils sont où ?

-Qui ça ?

-Bah... Les autres... Nyo, Fred, Seb, Bob, Alex' ?... Tu crois que la Réunion se fait attaquer aussi ? Et tu penses que...

-Stop, le coupa Mathieu. Une question à la fois. Donc, ''où sont-ils'', j'en ai pas la moindre idée et si la Réunion se fait attaquer, sûrement ! Mais j'aimerais qu'on évite de parler de ça...

-Pourquoi ? Le questionna le brun par réflexe.

-Parce qu'ils sont peut-être morts...

-Oh... oui, c'est vrai...

-T'as l'air de prendre ça à la légère Antoine mais ce n'est pas un jeu ! On peut y laisser notre vie si on ne fait pas suffisamment attention.

-Je sais, je sais... Je... je suis désolé... »

Le plus petit soupira.

« C'est pas grave... Désolé aussi de m'être énervé c'est juste...

-Ces temps-ci... continua la serpillière.

-Ouais... »

Il se turent ensuite tout le reste de la journée, marchant d'un pas pressé, stressé. À la nuit tombée, ils rencontrèrent une jeune fille accompagnée d'un grand homme d'une trentaine ou d'une quarantaine d'années qui semblaient, eux aussi, fuir le Nord. D'abord sur leurs gardes, ils commencèrent ensuite à discuter.

« Bonjour, salua le plus vieux. Je m'appelle Antoine et lui c'est...

-Mathieu, le coupa celui-ci en souriant, mal à l'aise.

-Je suis Judith et voici mon petit ami, présenta la demoiselle.

-Je m'appelle Aurélien, précisa alors le susnommé.

Ils continuèrent à discuter, apprenant à se connaître, puis, trop fatigué, ils s'allongèrent. Mathieu resta éveillé alors que ses trois compagnons dormaient déjà comme des loirs.

Il était content d'avoir trouvé d'autres pacifistes pour cheminer jusqu'au blockhaus en construction à Montpellier. Enfin un peu de compagnie différente. Non pas que celle d'Antoine l'incommodait,bien au contraire, mais il commençait à ressentir de la solitude, sentiment partagé par son acolyte. Quelques autres semblables n'étaient pas de refus. Alors qu'il réfléchissait à leur nouvelle situation, il sentit quelqu'un remuer derrière lui et se rapprocher de son dos. Un tintement métallique rompit le silence qui régnait et c'est alors que le châtain comprit. Ce n'était pas réellement des pacifistes. La lame se rapprochait de sa peau mais, avant qu'elle n'ait pu l'atteindre, le nain se retourna, tordit le poignet de son agresseur nocturne et récupéra le couteau, menaçant ainsi la personne qui tentait de le tuer. Sous l'éclat de la lune, il reconnut Judith qui semblait apeurée. Impassible, il demanda :

« Que comptais-tu faire ? »

Il ne reçut pas de réponse.

« Tu voulais me tuer ? »

Encore un silence. Alors, plus par peur que par colère, il planta le couteau dans le cou de la jeune agresseuse.

« On ne peut vraiment pas faire confiance aux autres en ces temps... »

Il tua également  Aurélien, froidement, et partit s'endormir.

Mathieu fut réveillé le lendemain par un cri de son ami. Il ouvrit les yeux et se releva, croisant les prunelles inquiètes du plus grand. Antoine le regarda de haut en bas avant de s'exclamer :

« C'est... c'est toi qui les a tués ! Pourquoi ?!

-J-Judith m'a attaqué pendant que j'étais sensé dormir. Elle voulait me tuer. Alors... j'ai eu peur et je l'ai plantée.

-Et Aurélien ?

-Il était avec Judith donc dans l'ordre des choses, il m'aurait buté le lendemain... »

Le grand brun soupira. Son ami avait raison. Terriblement raison. Il le regarda encore un moment, les mains dans les poches, avant de sortir de sa rêverie et de regarder aux alentours.

« On va où ? Demanda-t-il pour briser le silence qui devenait gênant.

-Bah... Hésita Mathieu. Toujours vers le Sud, non ?

-D'accord... »

L'ambiance était tendue.



Ils se mirent en marche, laissant les corps sur place, et accéléraient le pas au fur et à mesure. Sûrement par peur, pour arriver plus vite au blockhaus. Le trajet se fit une fois de plus en silence. Un silence de plomb qui en disait long sur leurs états d'esprits... Et une fois de plus, ils se retrouvaient seuls. Ils étaient seuls face au monde.