Encore une fois, le lendemain, tous se réveillèrent, se préparèrent et rejoignirent leur groupe à l'extérieur. Leur journée de labeur commença. Le soleil tapait plus fort encore que les autres jours, l'herbe avait jaunie, les fissures de la terre s'étaient élargies, le sol s'égrainait, la sueur coulait sur le front, le torse et dans le dos des travailleurs. Leurs vêtements collaient à leur peau, ne leur donnant que plus chaud.
Très vite, les bras se fatiguèrent, les genoux grincèrent à force d'être plié et déplié, les paumes des mains pellèrent, les pieds, écrasés par la bêche et la brique, saignaient pour beaucoup des survivants. Ils n'en pouvaient plus. La pause du midi fut vécue avec soulagement mais le travail dut reprendre.
La première personne à vaciller et s'évanouir sous le poids du travail fut Mathieu. Encore affaibli par son long sommeil et les jours précédents, il s'écroula en plein labeur. Son petit ami accourut immédiatement à lui et vérifia en premier son pouls et sa respiration. Tout allait relativement bien... Jusqu'à ce qu'Aurore n'arrive...
« Laissez le sur le côté, déclara-t-elle.
-Quoi ?! Mais il va mourir si on le laisse comme ça ! S'enquit Antoine.
-C'est l'ordre qu'on m'a donné, lui répondit la jeune fille d'un air neutre, Vous pouvez allez vous en occuper si vous souhaitez mais nous ne prenons ni la responsabilité ni la charge d'un blessé. Aussi, vos prochaines pauses midi égales aux nombres d'heures de travail ratées seront supprimées.
-Et bien j'en prends la responsabilité. »
Après avoir dit ça, le chevelu souleva son aimé telle une princesse et repartit à l'abri. Arrivé là-bas, il déposa l'homme dans ses bras sur son lit et lui apporta un linge humide qu'il déposa sur son front. Il ramena une bouteille d'eau pour son réveil et resta à ses côtés.
La situation rappelait d'ailleurs à l'ex-présentateur de WTC?! de douloureux souvenirs, ceux des sept précédentes années. Il attrapa la main de l'endormi en fermant les yeux. Deux larmes roulèrent sur chacune de ses joues, y creusant un sillon brillant à la LED au plafond. Il ne voulait pas se rappeler toute la souffrance, toute la tristesse qu'il avait éprouvé. Mais il ne pouvait pas s'empêcher d'assimiler ces deux événements. Tout était trop semblable... Sa manière de tomber, comment il l'avait porté et déposé sur ce même lit, tout ces petits détails qui lui rappelait affreusement le jour funeste, trentième de la guerre, où son meilleur ami a été blessé gravement.
Il ne pouvait s'empêcher de penser que c'était de sa faute. Qu'il aurait pu s'interposer, le faire passer en premier, le pousser, le tirer dans le bunker, faire quelque chose au lieu de rester immobile ! Mais il avait été paralysé par la peur. La peur de le voir ses yeux pour la dernière fois, d'entendre sa voix pour la dernière fois, de le perdre... Il aurait certainement tout perdu alors : sa joie, son envie de vivre, son humour, son sourire, cette lueur de vie dansant habituellement dans ses yeux... Tout. Peut-être même aurait-il été détruit jusqu'à perdre sa voix. Mais tout avait été trop rapide, trop effrayant, trop irréel...
Il n'avait pas été préparé à ça. Tout ce qu'il se passait. La guerre, la possible perte de son ami, la vie souterraine -bien qu'il s'y est fait-, la vue de l'homme qu'il aimait mourir à petit feu... Il avait vécu beaucoup de choses mais jamais la pensée de vivre ces événements ne l'avait effleurée. Il pensait qu'il allait joyeusement vivre, créant sur Internet, rigolant avec ses amis, buvant dans des bars jusque très tard, loin de tout le tumulte et tous les problèmes que la Syrie subissait chaque jour. Il était dans cet état d'esprit de « ça ne m'arrivera jamais » mais il avait tort. Terriblement tort... Et il regretta alors l'époque où, tout innocent qu'il était, il jouait seul dans sa chambre.
De longues heures passèrent sans qu'Antoine ne s'en aperçut, perdu dans ses pensées. Bientôt, ses amis rentrèrent. Mais seul Nyo entra dans la chambre pour prendre des nouvelles de son ami. Il découvrit le chevelu, les joues encore humides, courbés sur son petit ami qui avait toujours les yeux fermés. La joie qu'il avait s'effaça bien vite au profit d'une grande inquiétude. Il s'approcha du brun et posa une main rassurante sur son épaule.
« Ne t'en fais pas, lui chuchota-t-il d'une voix douce, il a déjà survécu à bien pire... Il s'en sortira.
-Je sais... je sais mais... sanglota son interlocuteur. Je peux pas m'empêcher d'avoir peur... »
Le dessinateur prit l'homme aux yeux chocolats dans ses bras. Les sept autres hommes, ne voyant pas le plus jeune revenir, allèrent voir ce qu'il se passait. Ils furent pris de cours par la scène. Ils pensaient que ce n'était rien et qu'ils se réveillerait rapidement.
Tous s'assirent autour de l'homme endormi et le regardèrent en silence. C'est alors qu'il remua légèrement et ouvrit les yeux.
« Mmh... »
Il se couvrit les yeux de son bras.
« Putain tu nous as fait peur !! s'écria Bob.
-D-désolé.
-C'est rien... »
Antoine l'embrassa doucement en posant sa main sur sa joue puis il s'écarta.
« Bon, bière ? Demanda Alexis.
-Alcoolique de breton, l'accusa Kriss.
-Mais j'assume ! Ria son interlocuteur. On y va du coup ? »
Ces derniers mots engrangèrent un rire général. Tout le monde se leva pour aller dans la pièce de vie se rasseoir autour de la grande table qui trônait en son centre.
Après avoir mangé -et but-, tout le monde alla dans sa chambre. Une fois seuls, Mathieu et Antoine se câlinèrent. Ils n'aimaient pas les effusions de sentiments en public, même si ce public étaient leurs potes, alors ils attendaient d'être seul pour. Le plus jeune était rêveur, ce que son petit ami remarqua.
« A quoi tu penses ? Questionna-t-il, curieux.
-Tu as déjà pensé à te marier et avoir des enfants ? »
Le châtain attaquait directement dans le vif du sujet. Le chevelu, pris de court, réfléchit un moment avant de déclarer :
« Mmh, non.
-Et... »
L'homme aux yeux bleus se mit sur le ventre pour regarder son homme dans les yeux.
« Tu aimerais ? Reprit-il.
-Si c'est bien ce que tu sous-entend, Math', je suis sincèrement désolé mais pas moi. Je ne veux ni me marier ni avoir d'enfants. Et je pensais que tu ne voulais pas non plus. »
Le cadet se remit sur le dos, triste.
« J'ai changé d'avis...
-Qu'est-ce qui t'as fait changé d'avis ?
-Toi. »
Antoine rit.
« Tu penses sincèrement que je ferais un bon père ?
-Sincèrement ? Ouais... »
L'aîné rit de plus belle.
« Mais arrête de rire, je suis sérieux !
-Désolé mais moi, père, c'est trop irréel. »
Mathieu ne rajouta rien. Il se blottit contre le torse de son amant et ferma les épaules. L'homme aux yeux marrons fit de même et s'endormit alors que celui aux yeux bleus rêvait de sa vie parfaite. Puisque son conjoint ne le voulait pas, il se contentera de ça...
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Jeu 19 Mai - 14:14
