Royaume en perdition [Aventures - Chapitre 4]

Grunlek reprit conscience deux heures plus tard, près d'un feu de camp, Eden blottie contre lui. La louve s'était réveillée un peu plus tôt, mais elle n'avait pas quitté son Maître d'une semelle. De toute manière, sa patte avant droite brisée la faisait souffrir, et le moindre mouvement était douloureux. Elle couina doucement en poussant la main non-mécanique du nain du museau. Notre ingénieur n'était pas en bon état non plus. Son bras et une partie de son visage étaient couvert de cloques épaisses, mais qui semblaient déjà avoir cicatrisées. Nul besoin d'être un génie pour comprendre que c'était l'oeuvre de Théo. Il se sentait déjà pas trop mal, malgré la douleur qu'il ressentit en s'asseyant. Il se mit à chercher ses amis du regard.

Shin dormait, de l'autre côté du feu, roulé en boule. On pouvait l'entendre murmurer des choses comme "Pomme", "Faim", "Cronch", ce qui supposait qu'il était en plein rêve. L'elfe était près de Grunlek, caressant la louve doucement. Eden semblait bien l'aimer, en déduisit l'ingénieur, puisqu'elle leva la patte arrière pour se faire caresser le ventre. Théo était assis sur un rocher, à la lisière de la forêt, visiblement soucieux.

En effet, Théo attendait Bob, désespérement. Il se sentait stupide. S'emporter comme ça avait été stupide. Le pyromage n'arrivait pas à se contrôler, ce n'était pas de sa faute, et lui, comme un idiot, il lui avait hurlé dessus, provoquant sa fuite. Secrètement, il espérait que la faim le ramène au camp, c'est pour cette raison qu'il attendait là depuis presque deux heures maintenant, la boule au ventre. Il fallait se rendre à l'évidence, cette fois-ci, Bob ne reviendrait pas. Dépité, il se leva et rejoignit les autres, il avait vu Grunlek se relever du coin de l'oeil.

"Ca va Grun' ? demanda t-il doucement, pour ne pas réveiller le demi-élémentaire.
- Légèrement roussi, répondit-il. Mais je m'en remettrai. Où est Bob ?
- Parti. Et c'est tant mieux."

Grunlek plissa les yeux. Il était évident que Théo mentait, rien que son regard le trahissait.

"Je crois que vous vous trompez, intervint soudainement l'elfe. Il n'est pas mauvais, il est incompris. Il fait de son mieux pour vous aider, mais vous ne le voyez pas. Tout ce qu'il cherche, c'est de la reconaissance."

Un grand silence tomba sur le camp. Théo croisa les bras sur son torse musclé, le regard froid. Grunlek savait qu'elle venait de blesser l'orgueil du paladin avec cette simple phrase, que lui-même approuvait silencieusement. L'elfe continuait de caresser la louve, désormais étalée contre elle.

"Qu'est-ce que vous en savez ? demanda froidement Théo, sur un ton laissant paraître sa vexation. Et vous êtes qui d'abord ?
- Je me nomme Aranwen, répondit-elle simplement, ignorant sa première question. Je... Je suis la fille d'Ulwaen, le roi des Elfes. Enfin... Sa fille illégitime.
- Qu'est-ce que vous faisiez dans la forêt ? l'interrogea Grunlek, curieux."

Elle baissa les yeux, visiblement perturbée par la question. Elle soupira doucement, avant de sortir un morceau de cuir de sa poche.

"Mon groupe et moi nous dirigions vers la Capitale. Un de mes amis était paladin, et il a été appelé pour régler un problème important. Nous nous sommes posés hier soir, pour nous reposer, quand on s'est fait attaquer. Trois loups, comme celui-là. On en a abattu deux, le troisième a tué mes deux autres compagnons, j'ai été forcée de fuir. Seule je n'avais pas la moindre chance. Puis j'ai vu de la lumière par ici, et la suite vous la connaissez."

Elle se reconcentra sur la louve. Elle s'abaisssa doucement à son nouveau, Eden lui lécha le visage en couinant. Aranwen l'embrassa entre les deux oreilles.

"Théo, amorça Grunlek. Puisqu'on va au même endroit, elle pourrait venir avec nous.
- Une fille ?! Tu imagines tous les problèmes que ça va...
- Théo...
- Très bien... On repart demain matin. En espérant que Bob revienne d'ici là..."

Gunlek sourit inocemment. Théo s'inquiétait pour Bob, c'était plutôt une bonne nouvelle. Et de toute manière, dans l'esprit des trois aventuriers restants, il était évident qu'ils ne partiraient pas sans le pyromage, aussi casse-bonbon et dangereux soit-il. Il était avant tout leur ami.


Bob s'écroula sur le sol, totalement épuisé. Combien de temps avait-il courru au juste ? Et où est-ce qu'il était là ? Il leva la tête, autour de lui, des arbres, partout. Il avait peur, il avait mal à la tête. Son démon ne cessait de l'insulter, encore et encore. Ca devait bien faire deux heures qu'il avait quitté le camp, et il continuait de pleurer, de manière totalement incontrôlable.

"Sors de ma tête. Je t'en supplie."

Bob se replia sur le sol en se tenant la tête, en gémissant. Il se mit à hurler, à s'en couper le souffle. Des personnes passant dans le bois à ce moment précis l'auraient sans doute pris pour un fou. Il se mit à pleurer, sans vraiment savoir pourquoi. Il avait mal, autant au niveau physique et moral, et c'était insupportable. Son poignet semblait aller mieux, ça ne devait être qu'un mauvais coup, en revanche, c'était sa cheville qui le faisait souffrir maintenant. Il avait shooté dans une racine, et ça faisait horriblement mal. Au point qu'il n'arrive même plus à se relever. Il décida de rester couché là, à même le sol, fermant les yeux, inspirant, expirant.

Quand quelque chose tomba sur son visage. Il crut d'abord à de la pluie, mais c'était bien trop épais. Il rouvrit les yeux, et, horrifié, découvrit un cadavre, dans l'arbre, pendu et éventré, il n'en restait que le tronc. Comment avait-il fait pour ne pas le voir ? Bob se releva doucement, et se mit à tourner autour du corps. Il y avait quelque chose de familier qui s'en dégageait. Une aura sombre. Beaucoup trop sombre. Un demi-diable.

Bob eut un mouvement de recul, en repérant un bout d'épée dans son ventre, qu'il reconnu facilement. Une épée de l'Inquisition. Le cauchemar recommençait. Bob se tourna vers un fourré. Deux hommes en armure en sortirent, accompagné d'un loup noir énorme, comme celui que son groupe avait combattu un peu plus tôt.

"T'as vu ça mec ? Deux pourritures en même pas une demi-heure. L'Inquisition va tellement être fière de nous."

Bob recula, effrayé. Le loup prit les devants, en grognant, visiblement affamé. Cette scène lui semblait très familière. Son exil de l'Académie, le jour où il avait rencontré Théo. Il boitilla vers les fourrés, puis se mit à courir. Le loup lui bondit sur le dos, le plaquant au sol. Le pyromage essaya en vain de se défendre, s'était trop tard. Quelque chose se planta dans son cou et il tomba immédiatement dans l'inconscience.